Les films de jeux vidéo sont-ils voués à être décevants?

C’est Jack Black qui incarnera le rôle de Claptrap dans le film basé sur la série Borderlands. Image : Borderlands / Gearbox Software
C’est Jack Black qui incarnera le rôle de Claptrap dans le film basé sur la série Borderlands. Image : Borderlands / Gearbox Software
Alors qu’un film basé sur la série de jeux vidéo Borderlands entre en phase de production, l’engouement ne semble pas présent chez les joueurs et les joueuses. Il faut dire que l’historique des jeux vidéo transformés en navets pour le grand écran contribue à modérer les attentes du public. Qu’est-ce qui fait en sorte que la transition entre les deux médias donne si souvent des résultats décevants?

Même si c’est surtout les choix effectués pour la distribution du film Borderlands qui ont fait sourciller les internautes, le problème des jeux vidéo adaptés au cinéma va bien plus loin qu’une simple question d’attribution des rôles.

Que ce soit Resident Evil, Hitman, Prince of Persia ou Tomb Raider, ces films qui ont pour la plupart bénéficié du travail d’acteurs et d’actrices de talent peuvent parfois être considérés comme divertissants, mais ils sont bien loin d’être des chefs-d'œuvre cinématographiques.
 

La popularité et la rentabilité avant tout

Les films de jeux vidéo parus depuis le début des années 2000 ont généralement la même feuille de route : ils sont basés sur une série populaire, le rôle principal est attribué à un acteur connu ou à une actrice aimée du grand public et la production dispose d’un budget généreux qui sera facilement récupéré en double ou en triple en recettes.

Les personnes responsables de la réalisation de ces films sont la plupart du temps des spécialistes des superproductions et rarement des pionniers ou des pionnières du septième art. Paul W.S. Anderson (Resident Evil, Monster Hunter, Mortal Kombat) est un bon exemple de cela. Sa femme, l’actrice Milla Jovovich, profite aussi du succès financier de ces films en y tenant régulièrement un rôle principal.

Monster Hunter, la dernière réalisation d’Eli Roth.

Il est trop tôt pour juger l’adaptation cinématographique de Borderlands, mais on peut à tout le moins remarquer que le film correspond aussi à ces critères :

  • Il est produit sous la direction d’Eli Roth (Cabin Fever, Hostel), un réalisateur qui est surtout connu pour son travail sur des films d’horreur plutôt mal reçus.
  • Le budget du film n’est pas encore connu, mais on peut prédire qu’il sera élevé si l’on considère que la distribution regroupe jusqu’à maintenant Cate Blanchett, Jamie Lee Curtis, Jack Black et Kevin Hart. Il ne manque que Dwayne «The rock» Johnson (l’acteur le mieux payé au monde) pour y retrouver le trio de vedettes des nouveaux Jumanji. L’acteur n’est d’ailleurs pas étranger aux films tirés de jeux vidéo, puisqu’il figurait dans la très mauvaise adaptation cinématographique du jeu Doom en 2005.
  • Borderlands est l’une des plus grandes séries de jeux des dernières années, elle reste populaire malgré une réception partagée du troisième titre avec plus de 45 millions d’exemplaires vendus et un revenu net dépassant le milliard de dollars.
Ces choix ne sont certainement pas faits aléatoirement, ils sont une recette facile pour connaître un succès commercial. C’est un pari lucratif pour les maisons de production, et les chiffres parlent d’eux-mêmes : la série Resident-Evil a produit les films de jeux vidéo les plus rentables. Avec un budget de 292 millions pour les 6 films sortis jusqu’à maintenant, elle a engrangé 1,2 milliard de dollars.

En 2019, avant la pandémie, le revenu mondial associé à l’industrie des jeux vidéo était estimé à une somme entre 120 et 140 milliards de dollars. Pour les films, les revenus de 2019 ont atteint un record de 100 milliards à l’échelle mondiale. Il n’est donc pas étonnant que l’industrie des jeux vidéo soit perçue comme une mine d’or à exploiter pour le cinéma, d'autant plus que les revenus de l’industrie continuent leur croissance année après année et qu’ils ont explosé avec le confinement pour atteindre de nouveaux sommets en 2020.

Lorsque l'appât du gain prend le dessus sur le désir de bien raconter une histoire, il n’est pas étonnant que le produit fini de certains réalisateurs et réalisatrices soit une coquille vide affublée d’un titre populaire.
 
 

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De mauvais choix d’adaptations

Un bon film, c’est avant tout une bonne histoire. Un bon jeu a souvent une bonne histoire, mais il peut aussi remplacer celle-ci par une jouabilité intéressante. Les jeux de l’univers de Mario, le personnage de Nintendo, en sont de bons exemples : ils ne sont pas particulièrement appréciés pour leurs histoires, mais ils font tout de même partie des grandes œuvres de ce média interactif.

Les entreprises de productions cinématographiques choisissent pourtant souvent des jeux avec des histoires peu intéressantes pour en faire des films. C’est le cas de Super Mario Bros., de Mortal Kombat, de Street Fighters, de Doom et d’Angry Birds. C’est aussi le cas dans une certaine mesure de Resident Evil, Hitman, Tomb Raider, Prince of Persia et Borderlands : ces jeux ont une histoire un peu plus développée que ceux nommés précédemment, mais ils sont populaires en raison de leur jouabilité intéressante bien plus que pour leur récit narratif étoffé.
Goomba
La représentation d’un goomba dans le film Super Mario Bros est cauchemardesque. Image : Super Mario Bros, 1993

Ces jeux sont choisis parce qu'ils sont connus et populaires; il est bien plus facile d’attirer un public en tentant de vendre un produit qui est déjà connu de celui-ci.

Pourtant, les jeux vidéo s’inspirent de plus en plus du cinéma, avec des titres comme Detroit: Become Human, Death Stranding ou Until Dawn, qui vont jusqu’à sacrifier une partie de leur jouabilité pour laisser place au récit, en plus d’utiliser le talent d’acteurs et d’actrices. Plutôt que de choisir les titres les plus populaires, les studios pourraient donc facilement miser sur des œuvres narratives qui ont quelque chose à raconter et qui se transportent bien vers le grand écran. Il suffit de choisir la bonne source.

Bien sûr, transformer une œuvre interactive en une œuvre passive intéressante demeure un défi en soi, et cela relève pratiquement de l’impossible dans certains cas. C’est d’autant plus une bonne raison de laisser ces projets entre les mains des esprits les plus créatifs plutôt qu’à des réalisateurs comme Paul W.S. Anderson ou Eli Roth.
 

Des séries qui redonnent de l’espoir?

Même si certains films à venir comme Borderlands ou Monster Hunter risquent de décevoir les cinéphiles et les adeptes de ces séries, il y a peut-être encore de l’espoir pour les jeux vidéo à l’écran, en dehors des salles de cinéma.

The Witcher ne convient pas forcément à tous les goûts, mais la série est une belle adaptation télévisuelle qui semble intégrer autant des éléments des ouvrages d’Andrzej Sapkowski que des jeux à grands succès de CD Projekt Red. La productrice Lauren Schmidt Hissrich (Umbrella Academy, Parenthood) s’est bien débrouillée avec la partie la plus confuse de la saga, et Henry Cavill exécute à la perfection le rôle de Geralt de Rivia. Avec les éléments principaux du récit enfin mis en place, la deuxième saison s’annonce prometteuse.

The witcher
Henry Cavill dans le rôle de Geralt de Rivia. Photo : The Witcher / Netflix

On sait aussi que la chaîne de télévision HBO travaille depuis un certain temps sur une adaptation télévisuelle de The Last of Us, une série de jeux au récit narratif encensé par les critiques. C’est le réalisateur Craig Manzin (Chernobyl) et Neil Druckmann, le principal cerveau derrière le jeu original, qui travaillent ensemble pour réaliser la série. Avec l’excellente feuille de route d’HBO et la passion qui semble entourer le projet, c’est à surveiller!

Si l’on considère que le récit narratif des jeux vidéo s’étend souvent sur plusieurs dizaines d’heures, il est aussi logique que le format épisodique d’une série télé soit mieux adapté pour être fidèle au matériel d’origine que l’est un film d’une heure et demie. C’est peut-être bien sous cette formule que se trouve l’avenir des jeux vidéo à l’écran.

Peut-être aussi que Borderlands sera un grand succès qui parviendra à surprendre l’industrie en décrochant la Palme d’or et l’Oscar du meilleur acteur pour Jack Black dans le rôle de Claptrap, mais il est certainement plus réaliste de rester sceptique pour l’instant.