La biologiste du Zoo de Granby Julie Hébert s'interroge sur les comportements inusités du règne animal. Cette semaine, elle s'intéresse à la réputation romantique des cygnes!
On veut tous croire que l’amour peut être éternel. Les apôtres de la vie à deux soulignent d’ailleurs à grands traits que oui, la fidélité dans le règne animal, ça existe, et que certaines espèces s’unissent même jusqu’à la mort. Régulièrement cité comme symbole mythique de ce lien plus fort que tout, le cygne noir porte sur ses épaules emplumées cet idéal romantique persistant.
Si la science peut démontrer les bénéfices du choix stratégique (et non romantique!) de conserver le ou la même partenaire d’une saison de reproduction à l’autre, elle peut également prouver que même chez les plus fidèles, les écarts sont plus fréquents qu’on pense…
Selon les recherches, environ 90 % des oiseaux, contre seulement 10 % des mammifères, sont monogames saisonniers (le temps d’une saison de reproduction) ou durables (jusqu’au décès de l’un des partenaires). Le facteur principal expliquant cette stratégie reproductive est l’investissement exigé pour produire des oisillons, comparativement à de petits mammifères. D’abord, chez les oiseaux, contrairement aux mammifères, le développement des embryons se fait à l’extérieur du corps de la mère, il est uniquement protégé des assauts de l’environnement par la fragile coquille de l’œuf.
Couver les œufs, les protéger et continuer à se nourrir simultanément devient un défi de taille pour un seul parent : l’investissement partagé entre les membres du couple est nécessaire pour mener la couvaison à terme.
Finalement, l’alimentation des petits fait appel à la même logique : alors que les mammifères produisent eux-mêmes le lait qui nourrit leurs jeunes durant les premiers moments de leur vie, les oiseaux doivent, dès le premier jour, multiplier les allers-retours au nid afin de combler l’appétit de leurs insatiables poussins, une tâche colossale, voire impossible pour un seul oiseau. On comprend dès lors pourquoi, une fois un partenaire solide déniché, certains oiseaux le conservent année après année.
Par contre, dans le règne animal, la monogamie n’est pas synonyme de fidélité sexuelle. Autrement dit, deux individus peuvent former un couple, être partenaires dans le soin des petits, mais s’adonner en coulisses à des copulations en douce avec d’autres individus.
C’est d’ailleurs ce qu’une étude de l’Université de Melbourne (Australie) a démontré par des analyses ADN menées auprès d’une colonie de cygnes noirs, cet oiseau pourtant réputé pour être l’archétype de la fidélité. Résultat : un jeune sur six présentait une génétique différente de celle du père désigné… un coup dur pour le symbole!
Reste que la logique d’une telle stratégie est indéniable : en accordant ses faveurs à un vigoureux mâle de passage, la femelle s’assure que ses jeunes bénéficient de la meilleure génétique possible, tout en s’appuyant sur son fidèle partenaire pour partager la responsabilité de mener les petits jusqu’à l’autonomie. Une stratégie efficace qui sert bien le cygne noir, mais un peu moins le mythe romantique!