Le Canada a longtemps été un mauvais élève en matière de gestion durable de ses forêts, mais l’urgence climatique force une remise en question de certaines mauvaises pratiques. La bonne santé de la forêt boréale canadienne, qui représente 9 % des arbres de notre planète, s’appuie aujourd’hui sur les efforts des scientifiques et la sensibilisation du public.
Nathalie Isabel est chercheuse scientifique pour le Centre de foresterie des Laurentides. Cette semaine, elle participe à un colloque du congrès de l’Acfas qui dresse un portrait de nos forêts et des pratiques émergentes de gestion durable.
Elle n’hésite pas à rappeler le rôle primordial des forêts dans la lutte aux changements climatiques, une chose bien connue, mais dont l’importance est parfois sous-estimée par la population.
« Bien entendu, les arbres captent le CO2 lors de leur croissance, mais ce n’est pas tout. Pendant le colloque, on va aussi voir comment tous les microorganismes associés aux forêts captent le carbone emmagasiné dans les sols. C’est un système dynamique, complexe, qui joue un rôle très important », résume-t-elle.
Selon des données recueillies par la NASA, les forêts et les sols absorbent à eux seuls, mondialement, environ 30 % du CO2 produit par l’activité humaine. Il s’agit d’un mécanisme indispensable pour la vie sur terre.
Même si les forêts se portent mieux au Canada qu’à bien d’autres endroits dans le monde, Nathalie Isabel n’hésite pas à exprimer son découragement devant la déforestation qu’elle constate, surtout autour des villes.
C’est peut-être une question qui nous préoccupe moins au Canada, mais il y a énormément de déforestation. Il y a des journées où je travaille pour sélectionner des essences forestières plus résistantes aux maladies et plus productives, mais je vois le taux de déforestation autour des villes et je me dis que je n’arriverai jamais [à renverser la vapeur]!
Dans un contexte où le premier ministre de l’Ontario vient d’annoncer qu’il souhaite doubler les volumes de coupe forestière d’ici 2030, il est facile de se questionner sur l’avenir de nos forêts.
Toutefois, contrairement à la croyance populaire, l’industrie forestière représente un faible pourcentage de la déforestation au Canada, seulement 2 % en 2019 selon les données gouvernementales. Les pertes de zones forestières au pays sont principalement liées à l’agriculture (46% pour la même période) et à l’extraction des ressources minérales et pétrolières (31 %).
Des changements graduels
Heureusement, le rythme de la déforestation au Canada a diminué de près de la moitié depuis les années 1990, et la tendance devrait continuer à la baisse dans les prochaines années. En novembre 2021, lors de la COP26, le gouvernement canadien s’est d’ailleurs engagé à mettre un terme à la déforestation d’ici 2030.
Pour respecter cette promesse, à partir de 2030, plus d’arbres devront donc être plantés que coupés chaque année, et la superficie occupée par les forêts devrait au minimum demeurer stable, au mieux s'accentuer.
Il en reviendra aux citoyens et aux citoyennes de rappeler cet engagement et de faire pression sur les instances gouvernementales pour encourager d’autres changements à grande échelle, un fait qui ne peut s’accomplir qu’avec un public informé et sensibilisé à la protection des forêts.
« Nous sommes en démocratie, il y a des choix démocratiques qui sont faits, nous avons une responsabilité en tant que société sur ce que nous faisons avec nos forêts. C’est aussi une affaire d’éducation et de sensibilisation. Comme spécialiste, il faut vraiment s’engager et développer des projets avec nos communautés », explique Nathalie Isabel.
Les espoirs de la scientifique reposent aussi sur les nouvelles générations, qui sont déjà bien mobilisées pour l’environnement et sensibilisées au rôle important des forêts.
Notre meilleur atout, c’est de travailler avec les jeunes, avec les enfants. En milieu scolaire, au primaire et au secondaire. Je pense que pour les adultes, il est un peu trop tard. C’est comme pour le recyclage : le changement et l’adoption du bac ne sont pas nécessairement venus par les parents ou les grands-parents.
Un colloque pour parler de solutions et d’innovation
En plus de l’activité humaine directe, la destruction des forêts est aussi liée à des effets plus sournois des changements climatiques. On peut penser aux incendies de forêts, mais aussi au développement de maladies qui menacent certaines espèces végétales.
Des solutions sont à l’étude pour s’attaquer à ces problèmes, notamment dans le domaine de la génomique, un champ d’expertise familier pour Nathalie Isabel.
Je participe à de grands projets en génomique, en ce moment on développe des variétés de plantes qui sont plus résilientes, ou des essences forestières avec une croissance rapide. On peut coupler le tout à des efforts de restauration de forêts. Il y a une panoplie de solutions et, en fonction de ce qu’on veut, il s’agit aussi de faire des petits projets à dimension humaine.
Ce type de solutions nécessite toutefois une planification et des engagements à long terme, un processus qui dépend encore une fois de l’appui du public.
« Si les gens ne veulent pas planter d’arbres, ou ne veulent pas de ce qu’on développe, on ne pourra pas changer grand-chose », précise l’experte.
Le colloque de l’Acfas auquel participe la chercheuse met la forêt au centre des préoccupations scientifiques, en s’intéressant à différentes pistes de solutions pour la bonne gestion et la préservation des forêts.
La formule à distance prisée encore une fois par l’événement n’a pas que des désavantages : elle permet aussi d’accueillir des scientifiques de la francophonie à l’international, une fenêtre sur le monde et un échange culturel qui donne accès à de nouvelles perspectives.
« Cette année, le colloque de l’Acfas nous donne la chance de rencontrer des gens de plusieurs pays africains. Ils nous amènent au-delà de la technologie, ils nous ramènent à ce qui nous manque beaucoup : convaincre les citoyens, changer notre façon de voir la forêt et retourner aux sources », explique Nathalie Isabel.
Au-delà de la protection des arbres et de l’absorption du CO2, la lutte à la déforestation à l’échelle mondiale représente aussi un geste essentiel pour préserver la biodiversité et les habitats naturels des animaux.
En plus du Canada, une centaine de pays ont promis d’enrayer la déforestation d’ici 2030, un changement important et nécessaire, mais qui s’annonce quelque peu tardif pour faire face à l’urgence climatique.