La folle histoire de la médecine racontée par Laurent Turcot

L'animateur et historien Laurent Turcot.
Image : Julie Artacho et Hulton Archives / Getty Images

ICI EXPLORA

Pour le professeur Laurent Turcot, l’histoire est tout autant une passion qu’un métier. Que ce soit sur sa chaîne YouTube, en classe ou dans ses ouvrages, il décortique avec curiosité toutes les facettes du passé pour mieux les vulgariser. 

Dès le 16 décembre, il animera La folle histoire de la médecine sur ICI Explora. Nous avons discuté avec lui de cette nouvelle série de 13 émissions qui plongera les spectateurs et les spectatrices dans un voyage historique fascinant.


Parmi tous les sujets historiques possibles, pourquoi avoir choisi la médecine pour cette série?

Laurent Turcot : On s’est rendu compte, avec la pandémie notamment, que les gens sont très intéressés par la médecine, par les maladies, et qu'ils veulent aussi savoir ce qui s’est passé dans l’histoire, comme avec la grippe espagnole ou la peste, par exemple.

Le scénariste Hugues Bélanger et moi, on s’est dit qu’on voulait aborder certains problèmes de santé qui occupent une grande place dans le domaine médical et l’espace public, pour voir comment ils ont évolué à travers le temps.

 

Comment se déroule le tournage jusqu'à maintenant?

L.T. : Ça avance très bien. On voit des choses impressionnantes, on va dans des endroits qui n’ont jamais été filmés, on rencontre des spécialistes qui nous présentent leurs recherches, des projets qui vont bientôt avoir des résultats, donc on est parmi les premiers à les évoquer.

On est allé chercher des images de partout dans le monde, mais, ce qui est encore plus intéressant, c’est qu’on lie l’histoire québécoise à la grande histoire de la médecine. On se rend compte qu’il s’est fait beaucoup de choses dans le passé ici et que nos scientifiques ont eu une grande incidence sur l’histoire mondiale.

 

Quels genres de sujets allez-vous aborder dans La folle histoire de la médecine?

L.T. : Dans la série, on s’intéresse à plein de choses, par exemple aux dysfonctions érectiles, aux arrêts cardiaques, aux allergies, aux brûlures et aux césariennes. 

Ça se décline en trois temps : comment on s’occupait de ces problèmes dans le passé, comment on s’en occupe aujourd’hui et comment on va s’en occuper dans le futur.

On force en quelque sorte une rencontre entre les différentes périodes de l'histoire, en faisant aussi une projection avec des spécialistes du Québec pour voir ce qui se fait maintenant et ce qui va se faire dans le futur, par exemple pour régler la dépression, les brûlures, les caries ou les arrêts cardiaques.

Un dispositif antique pour effectuer des anesthésies.

Dessin de 1847 illustrant un dispositif pour anesthésier les patients avant une chirurgie. Image : Hulton Archive / Getty Images

 

Est-ce qu’il y a des méthodes qui n’ont pas beaucoup changé avec le temps?

L.T. : Oui, et parfois, c’est assez paradoxal! Par exemple, la technique qui était utilisée pour guérir une fracture de la mâchoire en Égypte antique, c’est la même qu’aujourd’hui. 

Quand on parle de ce genre de choses aux médecins, on constate que ça n’a pas changé puisque ç’a toujours été efficace et que ce l’est encore, donc il n’y a pas de raison de trouver une autre méthode. On voit certains éléments qui se maintiennent, d’autres qui évoluent et d’autres qui sont risibles.

 

Avez-vous quelques exemples de ces traitements risibles? 

L.T. : Pour donner une idée, pour traiter les gens atteints de dépression au 19e siècle, on les mettait sur une chaise, puis on les faisait tourner pendant des heures jusqu’à ce qu’ils aillent mieux. 

Un autre exemple à la même époque : on donnait aux gens qui souffraient de dysfonction érectile de l’opium, de la cocaïne ou de l’alcool. On s’entend que c’était loin de régler le problème!

 

Est-ce que ce sont ces aspects incongrus qui font que la médecine a une histoire « folle »?

L.T. : Exactement. C’est une histoire qui laissait la place aux essais et erreurs. Il y en a eu beaucoup, et parfois c’est drôle à voir, et on se dit que nos prédécesseurs étaient vraiment dans le champ, mais pas nécessairement tant que ça! Le but, c’est de remettre en contexte le tout selon la pensée de l’époque, pour comprendre comment les gens voyaient ces maladies-là.

Parfois, au lieu de juger, ça sert à comprendre. À une autre époque, ces solutions-là étaient cohérentes. Par exemple, pour la dépression, on pensait que le problème provenait d’un excès de bile noire. Il fallait la purger, en faisant notamment des saignées, pour éviter que ça progresse encore plus.

Trépanation.

Cette illustration de 1250 montre une trépanation, un trou dans le crâne qui devait permettre de relâcher la pression cervicale. Image : Hulton Archive / Getty Images

 

L’histoire de la médecine renferme des sujets tellement vastes. Par où commencez-vous quand vous décidez d’explorer un thème?

L.T. : On commence par regarder tous les livres qui ont été écrits en histoire de la médecine, pour trouver les premières occurrences de telle ou telle maladie. Parfois, ça remonte jusqu’en Mésopotamie, d’autres fois, ça ne commence pas avant le 19e siècle.

C’est toujours là-dessus qu’on se base, puis on essaie de construire quelque chose à partir de là, d’établir une chronologie pour voir comment on s’est occupé de cette maladie-là dans le temps. Souvent, on fait appel à des sources de l’époque : les écrits des médecins, des chirurgiens, les gravures… 

Les auteurs des ouvrages se sont adjoints très rapidement la collaboration de graveurs, de dessinateurs, pour y inclure des illustrations. On s’entend qu’entre décrire un corps et le voir, c’est plus efficace de le voir, et ç’a été compris très tôt. Dès l’invention de l’imprimerie, à l’époque de la Renaissance, on voit de magnifiques gravures. On les utilise beaucoup dans l’émission.

 

Un format visuel comme la télévision, c’est donc particulièrement bien adapté pour explorer l’histoire?

L.T. : Oui! C’est plaisant de se faire raconter l’histoire, mais on veut aussi la voir! On a trouvé des choses incroyables. On se promène un peu partout à travers le Québec pour voir comment la médecine expérimentale et la recherche vont changer les soins, et aussi, parfois, comment on revient à ce que les médecins antiques avaient diagnostiqué ou à leurs traitements. L’histoire peut être cyclique, c’est assez drôle.

Une saignée à l'aide de sangsues.

Dans cette illustration de 1624, un médecin effectue une saignée avec des sangsues. Image : Hulton Archive / Getty Images

 

Le secret pour intéresser les jeunes et les moins jeunes à l’histoire, c’est donc de les entraîner dans celle-ci, autant que possible?

L.T. : Oui, c’est ça, et c’est aussi de ne pas se dire que ça doit être très complexe, ultradéveloppé. Je pense qu’on a une belle manière de la vulgariser dans La folle histoire de la médecine, pour rendre le tout accessible. La télévision permet cela, parce qu’on a des extraits de films, des images, des choses comme ça qui suscitent l’intérêt.

Le ton est également important; oui, c’est un ton sérieux, mais pas pompeux ou ésotérique. Le but, c’est de simplifier l’information, de faire en sorte que tout le monde y ait accès et s’amuse aussi avec ça.

 

Vous dites que l’histoire sert à éclairer le présent; est-ce que c’est un peu ça aussi le fond de la pensée derrière cette nouvelle série?

L.T. : Complètement. Ça éclaire le présent et ça nous donne les clés pour comprendre le futur également. Parfois, ça nous montre qu’on a fait de bons coups, tout comme on en a fait des mauvais. Ça prend autant le bon que le mauvais du passé pour éclairer le présent.

La folle histoire de la médecine, c’est vraiment un gros travail d’équipe et d’idéation; tout le monde est passionné et tout le monde apprend. 

[Apprendre, susciter l’intérêt et la curiosité pour l’histoire], c’est ce qu’on veut faire avec cette émission-là. C’est planter la graine, l’arroser, lui donner un peu de soleil et s’assurer que la pousse et le semis sont partis. Après ça, c’est aux gens d’aller plus loin, de grandir; peut-être que l’arbre va donner des fruits. En tout cas, on l’espère!

 

Laurent Turcot, merci!