« L’histoire du monde, c’est l’histoire des aliments qu’on cultive! » : entrevue avec Boucar Diouf

« L’histoire du monde, c’est l’histoire des aliments qu’on cultive! »  : entrevue avec Boucar Diouf

Dans la deuxième saison de la série Manger, Boucar Diouf s’intéresse à quatre aliments qui occupent une place importante dans l’histoire du Québec et du Canada : le miel, le chou, la courge et le blé dur. 

 

L'autonomie alimentaire, la production locale, le multiculturalisme et l'environnement font aussi partie des sujets abordés à l'émission cette saison. Biologiste avant d'être animateur, Boucar Diouf trace les liens entre l'alimentation et les différentes facettes de notre société.


Comment as-tu choisi les aliments vedettes de la deuxième saison de Manger?

 

Boucar Diouf : J’avais un intérêt pour le miel, avec tout ce qu’on entend sur la disparition des abeilles, et pour le chou, parce que c’est un mal-aimé même s’il fait partie de l’identité et de la tradition des gens d’ici. J’ai aussi choisi les courges parce que ce sont des plantes originaires d’Amérique, et le blé dur parce que c’est mal connu.

 

On connaît beaucoup le blé tendre, avec lequel on fait le pain et les pâtisseries, mais le blé dur, qu’on utilise pour le couscous et les pâtes alimentaires, l’est beaucoup moins. Je voulais vraiment parler de ce blé-là, car beaucoup d’immigrants mangent du couscous, et on a ici une usine qui fabrique du couscous pour toute l’Amérique du Nord.

 

Quelle a été ta plus belle découverte autour de ces aliments?

 

B. D. : Notre voyage en Saskatchewan a été quelque chose d'extraordinaire. La Saskatchewan produit 80 % du blé dur du Canada, et 50 % de toutes les exportations mondiales de blé dur viennent de là. Aller dans les grandes plaines, voir les champs et l’institut de recherche sur la génétique du blé, ça a été quelque chose que j’ai vraiment beaucoup aimé.

 

Cette année, la province a perdu 80 % de ses récoltes de blé, ce qui veut dire qu’il faut s’attendre à des remous. Si la Saskatchewan a des problèmes, les Italiens ont des problèmes de pâtes alimentaires. L’Afrique du Nord mange aussi beaucoup de couscous produit avec ce même blé dur. 

 

La nourriture, c’est aussi un prétexte pour se rassembler. Pourquoi est-ce que cet aspect social est autant au cœur de l’alimentation, selon toi?

 

B. D. : Pour moi, la nourriture, c’est la chose qui nous rapproche le plus. On parle beaucoup des sociétés multiculturelles, d’interculturalité; ce sont des mots très à la mode. Mais là où on a vraiment réussi l’intégration des cultures, c’est sur le plan de la nourriture. Peu importe l’endroit d’où vient la personne, on est tenté de découvrir sa nourriture, de goûter, et de lui faire goûter la nôtre aussi.

 

Prendre quelque chose qui appartient à une autre culture et le rentrer dans son corps, ce n’est pas un geste banal. La nourriture, c’est un haut lieu de réconciliation culturelle; elle a réussi sa mondialisation et son intégration dans toutes les cultures.

 

Boucar à table avec des invités dans la saison 2 de Manger.

 

Manger semble insister sur le fait qu’il faut s’intéresser à l’histoire de la nourriture pour mieux comprendre celle de l’être humain. Pourquoi?

 

B. D. : L’histoire du monde, c’est l’histoire des aliments qu’on cultive! Si on parle français en Amérique du Nord, c’est à cause de Jacques Cartier. Mais Jacques Cartier, Jean Cabot, Christophe Colomb, on l’oublie, mais ils cherchaient des graines de plantes. Si tu veux comprendre l’histoire de l’humanité, intéresse-toi à l’alimentation.

 

Tout part des graines qu’on cultive. Je pense que la force de Manger, c’est de prendre plusieurs disciplines, de dire : « Regardez le chou que vous trouvez banal; prenez le temps de vous intéresser à son histoire et vous verrez comment elle est fascinante. »

 

Les plantes en général, on les méprise. Je veux que ça change. On n’est pas capables de faire ce qu’elles font; on a besoin d’elles et elles n’ont pas besoin de nous. Le chou est un mal-aimé, mais je pense que les gens qui vont écouter l’émission qu’on a faite sur lui ne le verront plus jamais de la même façon – je suis convaincu de ça.

 

Est-ce que tu penses que la pandémie vient bouleverser notre manière de s’alimenter?

 

B. D. : Je pense qu’elle a fait réaliser aux gens que si les frontières alimentaires se ferment, on est cuits au Canada. Il faut faire de la production locale une priorité, et la pandémie nous a rappelé qu’il faut porter une attention particulière à tout ça.

 

Le plus important pour une nation, c’est son autonomie alimentaire. Selon moi, la pandémie nous a fait réaliser que les terres agricoles, l’eau et l’autosuffisance alimentaire, c’est important. Quand on ne mange pas, on ne peut rien faire. Pour manger, il faut s’occuper des plantes; tout le reste dépend de ça.

 

Avant la pandémie, on a beaucoup entendu parler des effets de la crise climatique sur l’agriculture. Est-ce que c’est un problème qui devrait revenir à l'avant-plan de nos préoccupations?

 

B. D. : Oui, c’est stressant! Comme je le disais pour le blé dur, les personnes qui consomment des pâtes en Italie ne se doutent pas que la sécheresse en Saskatchewan peut leur nuire durablement. C’est un peu ça que le réchauffement climatique provoque – des problèmes systémiques. Tu crées un petit problème quelque part sur la planète et ça se répercute à des endroits qu’on ne pourrait pas imaginer.

 

En mandarin, le mot « crise » a deux significations : il signifie à la fois danger et opportunité

 

Les bouleversements climatiques vont peut-être nous inciter à rechercher des cultivars qui sont un peu plus adaptés au nouvel environnement qu’on va avoir. On voit aussi que la jeunesse en Occident et ailleurs est de plus en plus consciente de son alimentation. J’espère que ça va continuer. 

 

Boucar dans un champ de choux.

 

Est-ce que l’objectif derrière la série est aussi un peu d’éveiller cette conscience-là?

 

B. D. : Je pense qu’une émission comme Manger permet de ramener les gens à l’essentiel, de leur rappeler qu’il faut toujours avoir un œil sur notre alimentation, sur d’où elle vient, et se rappeler que sans les plantes, il n’y a pas de biosphère.

 

Les huit épisodes vont traverser le temps, j’en suis sûr. J’aimerais vraiment qu’on souligne le travail de toutes les personnes qui ont travaillé sur Manger. C’est un effort d’équipe, et je suis très fier de dire qu’on a fait un bon travail.

 

Boucar Diouf, merci!


Ne manquez pas la nouvelle saison de Manger, en ondes les lundis à 21 h sur ICI Explora.