Symphonie des émotions pour chœur de robots

Symphonie des émotions pour chœur de robots

Le rideau se lève. Sur scène, dix robots musiciens virevoltent autour d’un acteur immobile. En chœur, ils jouent et dansent une musique issue des émotions de l’humain corseté et relié à des ordinateurs.

Non, vous n’êtes pas dans un film de science-fiction. Dans son laboratoire de la Faculté des Beaux-Arts de l’Université Concordia, une jeune chercheuse travaille à un futur opéra robotique plutôt inusité. Erin Gee est à la fois artiste et ingénieure, mais surtout, passionnée d’opéra.

Elle rêve d’une symphonie pour un chœur de robots. Cette symphonie donnera corps, mouvements et sons à nos peurs, nos joies et même nos colères. « Ce n’est pas loin du concept de la musique de chambre et donc très intime, mais pour robots. Le comédien ne bougera pas, il doit seulement reproduire les émotions dans son corps et dans son cerveau. Les robots feront le reste. »

Erin Gee s’active à créer un ballet de robots capables de s’activer et de carillonner au son de nos émotions. Les signaux captés par différents senseurs — débit sanguin, rythme cardiaque, sudation, respiration et aussi des microélectrodes pour l’activité neuronale — seront transformés en une représentation électronique des émotions. Cette information sera transmise aux robots — en forme de tubes d’aluminium munis de petits instruments — pour les faire bouger et jouer des cloches et autres xylophones.

Pour parvenir à exprimer les émotions du comédien en mouvements et en musique, il faut une grande patience et une multitude d’expérimentations. La chercheuse travaille actuellement à un système capable d’émettre 60 notes et de produire des danses. « J’aime l’idée que le son va bouger et va sortir du mouvement. Ce ne seront pas des sons issus du logiciel, mais plutôt très corporels. »

Dans l’antichambre du « robot opéra »

Au sein de son laboratoire, Erin Gee s’active également à enregistrer des données corporelles afin de pouvoir les communiquer au public. En plein processus exploratoire, elle expérimente même l’enregistrement des signaux — ici, le senseur relié aux nerfs dans un défi douloureux qui interpelle l’artiste, et ceux qui l’observent. « Comment accueillir ses connaissances sur nous-mêmes et les représenter, c’est ce que se demandent tous les scientifiques. C’est un défi de montrer comment le corps réagit de manière unique », tranche la jeune femme, également cofondatrice de l’organisation d’artistes sonores Holophon.

C’est aussi une manière d’explorer une relation intime entre l’homme et la machine. Quelque chose qu’elle a déjà fait, d’une certaine manière, lors de son récent projet avec Stelarc (Stelios Arcadiou). Erin Gee l’a rencontré à une conférence à l’Université Concordia. Connu mondialement pour s’être greffé une oreille sur le bras, l’artiste australien lui a donné l’impulsion de « glisser une voix humaine dans un corps électronique » créant ainsi cette étrange alchimie entre deux altérités, l’humain et la machine.

Dans les Laboratoires d’audition MARCS de l’Université de Sydney (Australie), Erin a ainsi collaboré au projet de Stelarc Thinking Head — où elle a mis « en voix » la tête de l’artiste animée par ordinateur. Un travail qu’elle a poursuivi par une performance : Orpheux Larynx. Ce mini-opéra de 20 minutes pour trois agents robotisés — des avatars de Stelarc — et l’artiste elle-même (avec son propre avatar) numérise un poème de Margaret Atwood inspiré par le conte mythologique Orphée et Euridice.

Alors que d’autres ingénieurs et artistes explorent les liens musicaux et scéniques que peuvent lier les robots et les humains – voir le groupe Opera of the Future du MIT — Erin Gee pénètre dans le corps par le biais des émotions. « La musique et les émotions ont toujours été liées – généralement, la musique suscite les émotions. Ce que je veux, c’est le contraire : traduire les émotions en sons », explique la jeune chercheuse. Ce ballet des émotions sera à la racine de la musique et du ballet que ses robots interprèteront sur scène. La représentation est prévue pour l’automne 2013.

Pour en savoir plus :

- La page d’Erin Gee et celle de l'Université Concordia
- MicroServo
- L'installation Lucide (2010)
- Orpheux Larynx (2011)
- Les mécaniques du corps, l’artiste Stelarc
- Voir aussi Opera of the Future Group, du MIT