Le suicide de Yoshiki Sasai : pour qu'il n'y en ait pas d'autres

Le suicide de Yoshiki Sasai : pour qu'il n'y en ait pas d'autres

Le suicide du biologiste japonais Yoshiki Sasaï, le 5 août, a ravivé deux vieilles plaies, aux antipodes l'une de l'autre : la pression que fait peser sur les scientifiques cette obligation de publier vite et souvent, et les conséquences négatives des projecteurs braqués depuis peu sur les cas de fraude scientifique.

A-t-on en effet raison de parler autant qu'on le fait depuis quelques années des rétractations d'articles, comme celle sur cette recherche japonaise sur les cellules souches trempées dans l'acide dont Yoshiki Sasaï était le superviseur de l'auteure principale? Des lecteurs ont pointé un doigt accusateur, notamment vers le blogue Retraction Watch, lui reprochant de créer un climat de « chasse aux sorcières » qui, ultimement, serait responsable du suicide de Yoshiki Sasaï.

Leur critique va au-delà de cet événement tragique, note son blogueur Ivan Oransky. En braquant les projecteurs uniquement vers les zones sombres de la pratique scientifique, ne crée-t-on pas un climat malsain qui, non seulement, nuit à l'image qu'a le public de la science, mais en plus, contribue à accroître la pression sur les chercheurs? Oransky n'est pas d'accord : « Amener la lumière constitue le meilleur désinfectant, ce qui signifie que des reportages justes et honnêtes sur les rétractations et d'autres aspects de la publication académique représentent la meilleure défense contre la tricherie. »

Il est en cela en accord avec celui dont la réaction à ce tragique événement aura été la plus souvent citée sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines : le biologiste californien Michael Eisen, dont le père s'est suicidé en 1987 dans un contexte apparemment similaire. « Nous avons le devoir de réagir vite avec la fraude dès qu'elle est identifiée. Mais d'une fois à l'autre, j'ai observé la façon dont non seulement l'accusé, mais tout le monde autour, sont traités avec un tel dédain qu'il n'est franchement pas étonnant que certains répondent d'une façon tragique. »

Car selon ce qu'on a appris au début du mois d'août, Yoshiki Sasaï semblait avoir eu beaucoup de mal à subir la pression des derniers mois. Ce qui avait en effet commencé dans la joie, en janvier, par la publication, dans Nature, de deux articles affirmant qu'un certain bain d'acide pouvait provoquer la croissance des cellules souches, s'était transformé en cauchemar pour l'Institut Riken, au Japon, dont Sasaï était le directeur adjoint. Les soupçons de manipulations des données visant la chercheuse principale, Haruko Obokata, s'étaient accumulés, jusqu'à ce que celle-ci, le 2 juillet, accepte finalement que ses articles soient retirés.

Sauf qu'entretemps, les soupçons n'avaient pas seulement pesé sur Obokata, mais sur tout son entourage, incluant Yoshiki Sasaï. Et c'est là l'essence du commentaire de Michael Eisen. Bien que ni Sasaï ni le père d'Eisen n'aient été accusés de quoi que ce soit, peu importe : « NOUS agissons bel et bien comme si toutes les personnes impliquées dans les cas de fraudes étaient responsables. Nous le faisons parce que nous voulons que ce soit un événement singulier. Nous sommes tous si sûrs que ça ne pourrait jamais nous arriver. [...] Considérant l'horrible structure incitative que nous avons en science aujourd'hui — Haruko Obokata savait qu'un résultat spectaculaire lui vaudrait un texte dans Nature et la rendrait célèbre et assurerait sa carrière —, c'est un miracle qu'il n'y ait pas plus de gens qui inventent des résultats de façon routinière. »

Les scientifiques sont humains, renchérit la philosophe des sciences Janet Stemwedel. Ils réagissent de la même façon que le grand public réagirait dans de semblables circonstances : eux ont mal agi, mais pas nous. Un monde binaire, composé d'un côté de gens qui respectent impeccablement l'éthique, et de l'autre de vilains malhonnêtes qu'il suffirait d'identifier pour régler le problème. « Nous continuons de décrire le problème en termes de circonstances individuelles, de choix individuels et d'échecs individuels. »

Autrement dit, « mettons en place des mécanismes pour détecter la fraude, et tout ira bien » constitue une réaction déculpabilisante, mais utopique : une partie de toute recherche collaborative — en fait, de n'importe quel travail collaboratif — repose sur la confiance. Ce qu'il faut, poursuit Stemwedel, c'est plutôt attaquer le problème de la science telle qu'on veut qu'elle soit produite aujourd'hui : toujours plus vite. « La fraude naît d'un échec collectif de la communauté scientifique et des structures sociales sur lesquelles elle a été construite : qu'est-ce qui est valorisé, qu'est-ce qui est récompensé, qu'est-ce qui est toléré, qu'est-ce qui est puni. »

Pour empêcher d'autres Sasaï, il faut réformer ces structures qui font en sorte que des « choix individuels pathologiques » seront un jour tout aussi naturellement combattus qu'ils peuvent aujourd'hui être tout aussi naturellement ignorés.