Les Premières Nations au Québec face aux changements climatiques

Les Premières Nations au Québec face aux changements climatiques

(Image : Maxime Deschesnes)

Avec la Marche Action Climat samedi 13 h à Québec, la rencontre entre les premiers ministres des provinces canadiennes mardi prochain à Québec et la Conférence de Paris en décembre, des événements qui portent tous sur le thème des changements climatiques, ICI EXPLORA vous propose de découvrir dans quelle mesure les Premières Nations au Québec sont vulnérables aux changements climatiques et comment elles y font face.

Cet article est un bilan du forum Le climat en changement : l’adaptation par les Premières Nations au Québec, qui s’est tenu à la fin février à Québec. Voici le programme. Il était organisé par l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador (IDDPNQL) en collaboration avec l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).

VULNÉRABILITÉ AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Quand on pense que le climat de Montréal pourrait se retrouver à Rimouski dès 2039, selon le scénario du modèle régional canadien du climat (source : Ouranos), ce forum visant à trouver des solutions d’adaptation aux changements climatiques pour les Premières Nations au Québec prend tout son sens. Celles-ci sont très vulnérables aux changements climatiques de par leurs activités traditionnelles étroitement liées à la nature.

Vie moins prévisible et moins sécuritaire

Avec les changements climatiques, la météo est devenue plus intense et moins prévisible. Les Autochtones trouvent moins facile de prédire l'arrivée des tempêtes, car les indices auxquels ils se fiaient dans la nature, comme certains types de nuages annonciateurs de mauvais temps, sont moins évidents aujourd’hui.

Avec les étendues de glace qui diminuent dans la région de la Côte-Nord et autour du Nunavut, la sécurité des Autochtones voyageant sur le territoire et en mer est mise en péril. Les routes empruntées traditionnellement par les traîneaux à chiens et les motoneiges doivent être retracées.

Quant aux aléas côtiers comme l’érosion et la submersion (inondation), ils entraînent des pertes de territoire, donc le déplacement des populations. Par exemple, le niveau de la mer augmente, ce qui affecte les communautés côtières comme Uashat mak Mani-utenam, Pessamit et Mingan.

Chasse et cueillette : mises en péril

Avec la modification du climat, les activités de subsistance traditionnelles des Premières Nations au Québec sont menacées, ce qui rend plus difficile la préservation de leur culture. Par exemple, la modification du climat affecte le comportement des espèces. Certaines vont migrer vers le Nord, comme la tique qui dissémine la maladie de Lyme, ce qui modifie l’aire de répartition des animaux, plantes et insectes et peut créer une compétition entre espèces.

Les cas d'infestation d’orignaux à la tique d’hiver sont rapportés de manière plus importante, ce qui rend les Autochtones craintifs face à la qualité de la viande. Ils sont donc moins tentés d’en consommer. Les tiques peuvent aller jusqu’à causer la mort des animaux qui se grattent beaucoup et se nourrissent moins.

La saison hivernale, la durée de l’enneigement et la quantité de neige qui tombe diminuent. Étant donné qu’il y a moins de neige, les animaux comme les orignaux se déplacent plus aisément sur le territoire, ce qui peut déplacer les zones et les périodes traditionnelles de chasse des Autochtones.

Les Autochtones doivent chasser les caribous de plus en plus loin, car leur comportement de migration se modifie. Comme le climat se réchauffe rapidement au Nunavik, dans le Nord du Québec, il y a une diminution du couvert de lichen qui constitue la nourriture des caribous, ce qui contribue à réduire leur population.

adaptation AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Faire face aux changements climatiques au Québec passe entre autres par une collaboration avec les Premières Nations, soit les 11 nations réparties en 43 communautés, car elles occupent la majorité du territoire de la province.

Des plans d’adaptation aux changements climatiques sont déjà en place dans certaines communautés comme Akwesasne, Pikogan, Odanak, Wôlinak, Pessamit et Uashat mak Mani-utenam. Le but du forum étant de trouver des solutions aux problématiques auxquelles font face les Premières Nations, voici des exemples de mesures proposées :

  • faire le suivi des espèces envahissantes
  • évaluer l'état des chemins et des infrastructures du territoire
  • évaluer les impacts cumulés des changements climatiques avec les activités sur le territoire comme la foresterie, les mines et les barrages hydroélectriques
  • former les communautés à surveiller les digues, qui peuvent céder lors de pluies diluviennes, afin d’améliorer la communication en temps réel

Les aînés autochtones sentent l’urgence d’agir. Ils ont l’impression qu’ils ne peuvent plus transmettre aux jeunes des connaissances traditionnelles fiables avec ces changements du climat. Ils ont le désir de s'impliquer dans la mise en oeuvre des mesures d’adaptation aux changements climatiques.

Cette mise en oeuvre est toutefois entravée par un manque de financement et des données limitées sur l’impact des changements climatiques sur le territoire.

Manque de financement

Gabriel Arguin, chargé de projet du Conseil de la Première Nation Abitibiwinni à Pikogan, ainsi que Michael Jourdain, chargé de projet Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam, remarquent que pour les communautés avec lesquelles ils travaillent, les enjeux prioritaires sont le développement économique et les revendications territoriales. Elles veulent avoir du pouvoir sur leur territoire afin de prendre leurs propres décisions concernant entre autres les changements climatiques. Ce dernier enjeu est moins prioritaire que les autres dossiers étant donné que la mise en oeuvre d'un plan d’adaptation aux changements climatiques nécessite beaucoup de ressources, dont des ressources à temps plein pour la coordination, explique Gabriel Arguin.

Or, « si les dirigeants ne sont pas derrière nous, il est difficile d’aller de l’avant », indique Catherine Béland, chargée de projet en développement durable pour l'IDDPNQL. « L’appui politique est super important : c’est la base de tout pour qu’un projet fonctionne », selon Gabriel Arguin.

Gabriel Arguin est d’avis que la mise en oeuvre de mesures d’adaptation dans les communautés autochtones pourraient faire avancer les dossiers de revendications territoriales, car l’information collectée sur le territoire par les scientifiques et les communautés permettrait de mieux connaître l’usage du territoire et ce qu’on y retrouve.

Besoin de collaboration

Il existe peu de données sur la façon dont les changements climatiques affectent le territoire. Plusieurs territoires n’ont aucune station de mesure, donc il est difficile d’avoir des données fiables pour planifier un plan d’adaptation aux changements climatiques, rappelle Catherine Béland. Les communautés autochtones n’ont pas les moyens pour faire face, seules, aux changements climatiques. Une approche collaborative entre les scientifiques et les Premières Nations permettrait de dresser un portrait réaliste de ce qui se passe sur le territoire grâce aux savoirs traditionnels des Autochtones sur leur territoire.

José Gérin-Lajoie, coordonnatrice de projets nordiques pour l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et le Centre d’études nordiques, explique qu’il est aussi important de redonner les connaissances acquises par les recherches pour permettre aux communautés de s’adapter et de prendre de meilleures décisions entre autres pour la construction de maisons et la mise en place de zones protégeant les activités locales. Elle parle de décolonisation de la science, c’est-à-dire de mettre sur un pied d’égalité les deux systèmes de connaissances qui peuvent s’enrichir l’un l’autre.

La collaboration entre les Premières Nations, les scientifiques et d'autres organismes sur le territoire est nécessaire selon Catherine Béland, car les changements climatiques nous affectent tous, donc ils constituent un défi commun.