Ouragans et réchauffement : la réponse n'est pas pour demain

Ouragans et réchauffement : la réponse n'est pas pour demain

Agence Science-Presse

Même si Haiyan a été la plus puissante tempête au monde depuis un siècle, il ne faut pas s’attendre à ce que les climatologues établissent un lien avec le réchauffement climatique. Ce sera peut-être même le lien qui résistera le plus longtemps aux spéculations.

Pourquoi est-il si difficile d’établir un lien entre ces tempêtes et le climat?

Parce qu’on ne peut pas remonter très loin dans le temps. En comparaison, on peut obtenir des relevés de température vieux de quelques siècles grâce aux troncs d’arbres, et vieux de quelques millénaires grâce aux carottes de glace et aux sédiments sous-marins. Mais pour les cyclones et autres ouragans d’avant le 20e siècle, on n’a que les récits des témoins de l’époque, et ils n’avaient pas d’instruments pour mesurer avec précision a vitesse du vent — encore moins des avions ou des satellites pour analyser la progression de la tempête.

N’est-il pas inévitable qu’une température plus chaude produise davantage de telles tempêtes?

Oui et non. L’énergie d’une tempête tropicale lui vient des océans. Logiquement, plus ceux-ci sont chauds — du moins, plus l’eau à la surface est chaude — plus la tempête gagne en puissance.

Toutefois, des vents concurrents appelés cisaillements peuvent contrecarrer cet effet. Ces vents soufflent dans différentes directions et à différentes altitudes, assez pour ralentir ou perturber une tempête tropicale en formation.

Le résultat, c’est qu’à l’heure actuelle, les météorologues peuvent présumer que les tempêtes tropicales seront tôt ou tard plus nombreuses. Mais à partir de quel seuil ? Certains prétendent que ce seuil a déjà été dépassé dans l’Atlantique Nord — on peut lire un paragraphe à ce sujet dans le rapport du GIEC paru le mois dernier — mais en général, ces mêmes chercheurs apportent aussitôt un bémol : l’Atlantique nord est la région du globe où on dispose du plus grand nombre de données, ce qui biaise les conclusions.

Des régions du globe sont-elles plus à risque que d’autres?

Ici aussi, même incertitude. Même s’il s’avérait exact que le réchauffement a déjà commencé à accroître le nombre et l’intensité des tempêtes tropicales, cette augmentation serait répartie inégalement à travers les océans. Affirmer qu’il y aura davantage de Sandy — la tempête qui a frappé la côte est des États-Unis en octobre 2012 — que de Haiyan, c’est s’aventurer au-delà de ce que la science peut dire.

Le climatologue Kerry Emanuel, du Massachusetts Institute of Technology, a publié plus tôt cette année un modèle informatique qui, sur la base des six modèles climatiques les plus poussés, conclut à une augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes dans tous les océans, sauf le sud-ouest du Pacifique. C’est une première tentative.

Haiyan est-il dans une catégorie à part?

Avec des vents soutenus de 314 kilomètres à l’heure et des rafales atteignant les 380 kilomètres à l’heure, Haiyan bat le record précédent, qui était détenu depuis 1969 par l’ouragan Camille, au Mississipi : des vents soutenus de 300 km/heure. Au point où certains climatologues recommandent d’ajouter une sixième catégorie à l’échelle de Saffir-Simpson, qui classe les tempêtes tropicales en fonction de leur force.

Cette échelle fonctionne par des échelons de 30 : avec 30 km/heure de plus, un cyclone ou un ouragan passe à l’échelon supérieur. Sauf que le sommet de l’échelon 5 est atteint à 252 km/heure. Haiyan fournit donc un argument de poids pour revoir le calcul.

Mais ce qui risque de pousser les climatologues à se garder une petite gêne, c’est que de créer une catégorie 6 serait perçu comme accréditant l’idée que des tempêtes d’une telle intensité seront plus nombreuses à cause du réchauffement. Un pas qu’ils ne sont pas prêts à franchir.

EN COMPLÉMENT

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Cyclone, typhon ou ouragan? C'est la même chose (Nature)
Un effet-tunnel aurait amplifié l’impact de Haiyan (New Scientist)
Un typhon assez puissant pour provoquer une éruption de carbone (New Scientist)
Supertyphons et réchauffement planétaire (Phil Plait, Slate)

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