Devrait-on nommer les vagues de chaleur?

Des enfants jouent avec des jets d'eau au centre-ville de Montréal.
Photo : Eva Hambach / AFP via Getty Images

Depuis quelques années, l’idée de nommer les vagues de chaleur, comme on le fait déjà pour les ouragans, gagne du terrain auprès de la communauté scientifique. Alors que la saison des canicules bat son plein, cette initiative pourrait permettre d’attirer l'attention sur ce phénomène climatique plus fréquent et plus dangereux qu’autrefois.

L’idée de nommer les vagues de chaleur n’est pas nouvelle, mais elle resurgit cette semaine avec la température accablante qui se maintient dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis et en France.

Directement liées à la crise climatique, ces périodes de chaleur intense sont de plus en plus fréquentes un peu partout à travers le monde.

« C’est dû à ce qu’on appelle des blocages atmosphériques. C’est ce qui se passe d’ailleurs cette semaine du côté de l’Europe, pour l’Espagne et la France. Ces blocages viennent [créer un phénomène climatique] qui stagne pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines. Ça peut être une grande chaleur ou, au contraire, une période de grand froid », explique Waldir Da Cruz, météorologue au service de l'Information de Radio-Canada.

Contrairement aux ouragans ou à d’autres phénomènes météorologiques, les vagues de chaleur sont invisibles. Même si elles peuvent être mortelles, leur danger est donc difficile à constater pour la population. 

Les scientifiques qui souhaitent nommer les vagues de chaleur pensent généralement que cela permettrait de les rendre plus concrètes, de mieux présenter leur niveau de risque et d’attirer l’attention sur le problème.

« Lors d’une tempête de catégorie 3 en Floride, par exemple, on ne va pas livrer une pizza. Alors que durant les vagues de chaleur, les gens continuent d’avoir un rythme de vie normal. En tout cas, à aucun moment on va leur dire de ne pas aller au travail parce qu’il fait trop chaud. Il y a un manque de communication. Le fait de leur donner un nom pourrait avoir un effet psychologique, mais la faisabilité de cela est très compliquée », précise le météorologue.

 

Une idée complexe à implémenter

Si l’idée de nommer les vagues de chaleur séduit de plus en plus, elle n’en demeure pas moins difficile à mettre en place.

Comme la météo et la température ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, la définition d’une vague de chaleur ou d’une canicule l’est aussi. Selon Waldir Da Cruz, c’est ce qui vient compliquer la situation.

Au Québec, il faut trois jours consécutifs avec au moins 30 °C pour que ce soit considéré comme une canicule. En France, par exemple, ces valeurs changent selon les régions et, en plus, ils vont prendre en compte la chaleur nocturne, chose que l’on ne fait pas ici. En Afrique du Nord, vu que les températures autour de 30 °C sont souvent dépassées, on parlerait systématiquement de canicule si on prenait la même température qu’ici pour définir les vagues de chaleur.

Avant de commencer à nommer les vagues de chaleur, les agences gouvernementales de plusieurs pays, comme Environnement Canada, Météo-France ou la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) aux États-Unis, doivent donc s’entendre sur une définition qui peut tenir compte de ces différentes réalités climatiques.

Certains pays comme la France catégorisent tout de même déjà la sévérité des périodes de canicule en les associant à différents paliers d’alerte, chose qui ne se fait pas actuellement au Québec.

 

Un phénomène qui s’accentue

Si les scientifiques s’intéressent autant à la question des vagues de chaleur, c’est aussi parce que tout semble indiquer qu’elles seront de plus en plus fréquentes et de plus en plus dévastatrices au fil des ans.

« C’est une réalité; les vagues de chaleur sont en augmentation et la situation va malheureusement continuer d’empirer. Vu qu’elles prennent de plus en plus d’importance, ce serait sensé de les mettre beaucoup plus en avant, qu’on essaie finalement de les catégoriser ou du moins de sensibiliser plus les gens par rapport à ça », affirme Waldir Da Cruz.

Il y a quelques semaines, les vagues de chaleur mortelles qui frappaient le Pakistan et le nord de l’Inde ont fait les manchettes. Certaines régions de l’Inde ont même atteint les températures les plus élevées jamais enregistrées au pays.

Quand on entend parler du Pakistan ou du nord de l’Inde qui ont des températures autour de 40 °C, ce qui est anormal, ça reste loin d’ici. On sait qu’il fait chaud dans d’autres pays, mais tant qu’on n’est pas dedans, on ne se rend pas compte de la dangerosité de la situation.

Cependant, le Canada et le Québec n’en sont pas épargnés. Par exemple, la canicule qui a frappé Montréal entre le 11 et le 13 mai a battu tous les records en ce qui a trait à la température enregistrée à ce moment de l’année pour la ville.

« Les 30 °C ont été atteints les 11, 12 et 13 mai à Montréal, ils ont même été un petit peu dépassés. Quelques jours plus tard, on est revenus à un peu plus de 30 °C avec un humidex de 40, donc ça aussi, ce n’était pas normal. Malheureusement, on constate que les vagues de chaleur sont aussi de plus en plus présentes au Québec », mentionne Waldir Da Cruz.

Le météorologue rappelle aussi qu’à la fin du mois de juin 2021, la ville de Lytton, en Colombie-Britannique, battait le record de la plus haute température jamais enregistrée dans tout le pays alors que le thermomètre a brièvement indiqué 49,6 °C. 

Dans tous ces cas, les blocages atmosphériques étaient en cause.

« Les blocages atmosphériques sont en lien direct avec les dérèglements climatiques, dit-il. Oui, dans le passé, c’est déjà arrivé qu’il y a eu des blocages, mais ils ne duraient pas si longtemps que ça. Depuis quelques années, la fréquence est aussi beaucoup plus élevée. »
 

D’autres perturbations climatiques en vue

Les canicules peuvent aussi provoquer d’autres phénomènes climatiques destructeurs. Dans les régions tropicales, par exemple, les températures au-dessus des moyennes peuvent accentuer l’effet dévastateur des ouragans.

Au Canada, la sécheresse provoquée par des périodes prolongées de chaleur intense peut facilement entraîner la propagation des feux de forêt. Les sols arides peuvent aussi mener à des inondations.

« On a eu une période, au début de mai, où il n’y a pas eu de précipitations pendant environ 10 jours pour la majorité du Québec. Les sols sont devenus très arides. Quand les sols sont secs comme ça, ils ont très peu de capacité d'absorption de l’eau. Quand il pleut par la suite, le ruissellement va vers le cours d’eau le plus proche et le fait gonfler, ce qui cause des inondations », résume Waldir Da Cruz.

Avec un été qui s’annonce très chaud, on peut s’attendre à voir ces phénomènes continuer de se manifester au Canada et ailleurs dans le monde au cours des prochains mois.