Le mythe de la lecture rapide

Le mythe de la lecture rapide

Les cours de lecture rapide sont devenus à ce point répandus que bien des gens prennent pour acquis qu’il est possible d’améliorer sa vitesse de lecture en apprenant quelques techniques. Or, il y a eu des études à ce sujet ; et elles disent plutôt le contraire.

Depuis les années 1960, les détracteurs de la « lecture rapide » citent Woody Allen : J’ai pris un cours de lecture rapide, et j’ai été capable de lire Guerre et paix en 20 minutes. C’est un livre qui parle de la Russie.

Les données solides confirment sa boutade, écrit une équipe dirigée par le psychologue de l’université de Californie Keith Raymer dans l’édition de mai de la revue Psychological Science in the Public Interest : ayant passé en revue des dizaines d’études sur la question, ils n’ont rien trouvé qui permette d’accréditer l’existence d’un soi-disant « talent ». En fait, la science est assez claire sur le fait que, dès qu’une personne arrive à doubler sa vitesse (par exemple, de 250 à 500 mots par minute), il s’effectue « un compromis entre vitesse et précision ». En d’autres termes, le degré de compréhension du texte diminue à mesure que la vitesse de lecture augmente.

Qu’en est-il de cette gagnante de six championnats mondiaux de la lecture rapide, Anne Jones, qui a pu lire un Harry Potter en 47 minutes ? Ou de cet Howard Berg, cité dans le Livre des records Guinness 1990 comme étant capable de lire 80 pages par minute ? Dans le cas de Berg, il ne s’agit pas d’un record qui a été officiellement vérifié à l’époque ; le spécialiste en lecture — en lecture, pas en lecture rapide — Mark Pennington, va jusqu'à dire que Berg « a complètement inventé ce record ». C’est également la conclusion à laquelle en est arrivée en 1998 l’agence américaine du commerce (FTC), qui a déclaré que la publicité faite par Berg pour ses « produits de lecture rapide » était « erronée et trompeuse ».

Quant à Jones, outre le fait que le championnat n’existe plus depuis 2005, le résumé du livre de 759 pages qu’elle a fait n’a que 500 mots — c’est l’équivalent du texte que vous êtes en train de lire — et il est particulièrement vague.

Pour Raymer et ses collègues — et ils se contentent ici de citer plusieurs chercheurs qui ont étudié cette question depuis 50 ans — une personne qui affirme avoir une habileté se mesurant non pas en centaines, mais en milliers de mots par minute, se contente de faire des déductions sur un texte à partir de quelques éléments ramassés ici et là. La tâche est encore plus facile s’il est possible de s’appuyer sur des connaissances préalables : par exemple, si vous avez déjà lu un Harry Potter, vous connaissez la plupart des personnages et des lieux. En lisant quelques lignes toutes les 10 pages, vous pouvez sans problèmes déduire une partie de ce qui arrive aux personnages, une partie de l’intrigue et une partie de sa résolution.

« Les lecteurs rapides », résume le blogueur Simon Oxenham, connu pour sa lutte aux mythes des neurosciences, « ne voient pas ce qu’il y a sur la page ; ils lisent ce qu’ils veulent y voir. Ce qui explique peut-être pourquoi la pratique continue de fleurir. »

Survoler un texte de cette façon peut s’avérer utile si on ne fait que chercher une information précise. Mais ça ne sera pas utile pour apprécier les talents littéraires de l’écrivain. Et ça sera encore moins utile pour suivre à la trace l’argumentaire de l’auteur d’un essai.

 

Pour en savoir plus 

Simon Oxenham, «The harsh truth about speed-reading», The Kernel, 10 avril 2016.