Peut-on être dépendant aux sensations fortes?

Peut-on être dépendant aux sensations fortes?

Se laisser tourner par une centrifugeuse artisanale, faire du ski nautique derrière un ferry ultrarapide,​ conduire des bolides improvisés… Cette recherche constante du risque peut-elle être considérée comme une dépendance? 

« Certains chercheurs disent que c’est une compulsion, il y a encore un débat dans la littérature à ce sujet, mais il y a, à ce jour, des livres et des recherches qui parlent de dépendance aux sensations fortes », explique d’emblée Linda Paquette, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

La dépendance à l’adrénaline ou au risque n’apparaît pas dans le DSM V (le controversé manuel de référence des troubles psychologiques).

Pourtant, certains comportements chez les gens qui prennent volontairement des risques évoquent ceux des personnes dépendantes aux substances ou aux jeux de hasard : pratiquer des activités toujours plus intenses pour contourner l’accoutumance aux sensations, mettre son intégrité physique à risque pour ces activités et faire des choix impulsifs, par exemple.

« La recherche de sensations fortes est là, c’est certain, et comme cela altère l’état d’esprit, il y a une possibilité de dépendance, mais ce n’est pas encore établi clairement dans la littérature », précise la psychologue.

Le cerveau dans tout ça?

Que se passe-t-il dans la tête d’une personne qui pratique régulièrement des activités risquées? Le cerveau sécrète de la dopamine, un neurotransmetteur qui permet au système nerveux de bien communiquer. Celle-ci, une cousine de l’adrénaline directement liée au contrôle moteur, va donc permettre d’être momentanément plus habile pour relever la tâche à accomplir.

« Une fois que la prise de risque est terminée, cette substance-là est encore dans le cerveau. Ça va être associé à une très grande euphorie, un sentiment de récompense. » C’est la recherche de cet effet par les gens qui prennent des risques qui pourrait théoriquement entraîner une certaine assuétude, puisqu’il s’agit de la même molécule biochimique qui cause la dépendance aux différentes drogues.

Selon la psychologue, l’atteinte de cet état de conscience altérée peut aussi être une manière de fuir des émotions négatives, un comportement aussi présent chez les toxicomanes.

Les athlètes de l'extrême sont-ils des casse-cous?

Bien que les athlètes qui pratiquent des sports extrêmes et les casse-cous vivent et recherchent des sensations similaires, pour Linda Paquette, de nettes différences marquent ces deux groupes d’individus.

Au cœur de ces différences : l’impulsivité. « Les personnes qui n’aiment pas planifier, qui sont plus dans la fuite, vont être plus susceptibles d’avoir des pratiques impulsives avec peu de précautions, donc plus de type casse-cous. Celles qui sont plus dans l’exploit et dans le désir de dépassement vont prendre des risques quand même, mais avec un plus grand calcul. »

On peut donner en exemple de ce deuxième type d’individus Alex Honnold, la vedette du documentaire Free Solo, qui a choqué la planète en gravissant une paroi rocheuse de près de 1000 mètres sans corde. Le geste semble téméraire et constitue une énorme prise de risque, mais l’athlète avait gravi la falaise à de nombreuses reprises avec des mécanismes de sécurité adéquats avant son exploit. Pendant plusieurs mois, il s’était préparé pour son projet.

En comparaison, les vidéos des casse-cous que l’on peut trouver sur le web sont souvent plus impulsives, elles requièrent rarement une préparation physique et mentale comme c’est le cas pour les sports extrêmes.

Qu’il s’agisse d’athlètes de l’extrême ou de casse-cous, certains faits restent les mêmes dans les deux cas, comme la recherche grandissante de ces sensations d’euphorie liées à leurs activités. Une gestion différente des émotions, comme pour la peur et l’anxiété, est également assez typique.

« Chez les gens qui sont vraiment très extrêmes, on observe une certaine insensibilité et une difficulté à reconnaître les émotions qu’ils ressentent », indique la professeure de l’UQAC. 

Tant que le débat persistera dans la communauté scientifique, la dépendance aux sensations fortes se trouvera dans une situation similaire à celle du chat de Schrödinger : elle est à la fois réelle et inexistante.