La crise de croissance de Wikipedia

La crise de croissance de Wikipedia

Saviez-vous que certains pays d’Afrique ont moins d’articles dans Wikipédia que n’en a la Terre du milieu? Oui, celle du Seigneur des anneaux.

On savait grâce à des études antérieures que la majorité des rédacteurs « actifs » de Wikipedia étaient aux États-Unis et en Europe, ce qui introduisait déjà un biais. Mais la situation ne s’est pas améliorée, au contraire : depuis quelques années, on apprend que Wikipedia a plus de mal qu’avant à recruter de nouveaux collaborateurs.

Wikipedia a dépassé depuis longtemps le stade où l’on s’inquiétait pour la fiabilité de son information, note dans le New Scientist le consultant Jim Giles, qui fut un de ceux qui ont justement contribué, en 2005, à mousser la crédibilité de Wikipedia. Cette année-là, paraissait dans Nature une étude comparative entre une quarantaine de définitions dans Wikipedia et dans l’Encyclopaedia Britannica... étude qui avait tourné au désavantage de Britannica.

Le mauvais côté de cette encyclopédie « libre », c’est que depuis cette date aussi, les règles ont été renforcées : les étiquettes « référence nécessaire » qu’on voit un peu partout, et les nouveaux arrivants qui ne peuvent plus créer une définition sans s’être ouvert un compte. Dans les cas les plus litigieux, des pages ont même été mises sous tutelle, ce qui veut dire que de nouvelles modifications ne peuvent plus y être apportées tant qu’un « éditeur » n'aura pas donné son accord.

Or, un problème de diversité des voix a remplacé le problème de la fiabilité. Outre l’absence des pays africains, 91 % des auteurs de Wikipedia sont des hommes. Et ces deux facteurs sont peut-êre liés au renforcement des règles : plusieurs reportages ont fait état que les nouveaux Wikipédiens se sentent beaucoup moins bien accueillis, et les statistiques démontrent que leurs modifications, en moyenne, sont effacées beaucoup plus souvent et sans explications. Le nombre d’utilisateurs actifs, en anglais, a d’ailleurs atteint en 2007 un sommet qu’il n’a jamais rattrapé depuis.

Jim Giles raconte à ce sujet le cas Makmende — un personnage fictif, très connu au Kenya. En 2010-2011, plusieurs tentatives pour lui créer une page Wikipédia ont été refusées... sous le prétexte que le personnage n’était pas assez connu. Makmende a finalement eu gain de cause, mais pas avant que la controverse n’ait percé au-delà des frontières du Kenya. Simple anecdote ou crise de croissance qui pourrait déterminer l’avenir de Wikipedia?

Cette tendance fait apparaître la possibilité que le statut de Wikipedia comme chef de file de la connaissance ne soit pas aussi solide qu’elle semble. Il serait difficile pour une autre ressource de supplanter Wikipedia, mais pas impossible. Des sites qui autorisent les usagers à poser des questions et à répondre sont des rivaux potentiels.

À moins que Wikipedia n’arrive à se réformer pour redevenir l’outil accueillant et ouvert à tous qu’il était à ses débuts, en 2001. Une tâche plus difficile qu’il n’y paraît, considérant l’ampleur de la bête : ce n’est pas seulement contre les nouveaux arrivants dont ils craignent la fiabilité que doivent lutter les « vétérans », mais contre les trolls, les spammeurs et les vandales. Cet été, a annoncé la Fondation Wikimedia, doit apparaître un nouveau système qui éliminera la nécessité de devoir apprendre cette série de codes propres à Wikipedia : un petit pas pour une plus grande ouverture?