Les fonds marins cachent de nombreux vestiges du passé. Pour les archéologues, chaque épave est un microcosme, une fenêtre ouverte sur une autre époque. En vedette dans la série documentaire Esclaves, l’archéologie subaquatique nous permet aujourd’hui de mieux comprendre l’histoire de l’esclavage.
La navigation est une part indissociable de l’esclavage. Les empires colonisateurs d’Europe transportaient ainsi leurs captifs, qui provenaient en majorité d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, jusqu’au Nouveau Monde.
Au fil des années et des périples, nombreux sont les navires qui se sont retrouvés au fond des eaux, naufragés à la suite de tempêtes et de batailles navales. Ces épaves ont permis aux archéologues subaquatiques de retracer les grandes routes de l’esclavage et de plonger au cœur du vécu de ses victimes.
« Une épave, c’est vraiment une capsule temporelle. C’est le reflet d’une réalité à un moment très précis dans le temps. Un navire, c’est un microcosme en soi, c’est un monde avec ses règles sociales et ses structures. C’est toute la réalité du monde marin », explique Marc-André Bernier, chef de l’équipe d’archéologie subaquatique de Parcs Canada.
Des esclaves lors de leur arrivée dans une colonie au Brésil. Illustration : Hulton Archive/Getty Images
Même s’ils n’ont pas eu l’occasion d’étudier l’esclavage au gré de leurs recherches dans les eaux canadiennes, les archéologues subaquatiques de Parcs Canada ont pu former certaines équipes qui étudient cette question en Afrique.
La série Esclaves témoigne de l’importance du travail effectué par ces équipes pour mieux comprendre l’histoire de l’esclavage, d’un continent à l’autre.
« Une tendance en archéologie subaquatique, c’est la recherche thématique. On prend un sujet et l'on étudie des épaves en lien avec celui-ci. La thématique de l’histoire de l’esclavage, c’est un excellent exemple de cela. Au Canada, on est beaucoup dans la recherche des expéditions en Arctique : on a les épaves de l’expédition Franklin et le HMS Investigator, entre autres », précise l’archéologue subaquatique.
Des fonds marins qui préservent l’histoire
L’archéologie subaquatique est bien différente de l’archéologie traditionnelle, tant dans ses techniques que dans le type de structures et d’objets étudiés par les scientifiques. L’eau permet de préserver les épaves et leur contenu pendant plusieurs milliers d’années.
« Sous l’eau, certains matériaux, comme le fer, survivent moins bien, mais en général, comparativement à la terre ferme, tous les matériaux organiques vont très bien se conserver. On peut par exemple trouver du cuir ou des souliers sous l’eau que l’on pourrait pratiquement porter », indique Marc-André Bernier.
Pour Issiaka Mandé, professeur au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), ces objets ont une importance non négligeable pour comprendre la réalité des humains prisonniers des navires des esclavagistes.
Les recherches archéologiques permettent de comprendre le vécu des esclaves pendant la traversée, en étudiant aussi ce qui était parfois transporté par ceux-ci. Toutefois, ils étaient généralement nus, sans effets personnels, pour rentabiliser les places sur les navires. Ils étaient considérés comme des produits, comme une marchandise, dans une logique de commerce.
Les entraves de toutes sortes et les rares possessions des esclaves sont conservées par les archéologues comme de puissants symboles pour préserver le passé et éduquer la société.
« Ça touche énormément les gens. Quand on peut voir des objets directement liés à ce passé-là, des témoins de cette histoire, ça frappe l’imaginaire. C’est le pouvoir de l'interprétation qui vient avec l’archéologie », affirme Marc-André Bernier.
Les ravages de l’esclavage
Pour les esclaves, les périples en navire étaient tout aussi horribles que le sort qui leur était réservé à leur arrivée dans le Nouveau Monde. Après avoir été capturés et vendus sur le continent africain, ces femmes et ces hommes devaient survivre à l’enfer qui les attendait lors de leur voyage vers l’Amérique.
Pour les esclavagistes, les conditions de vie de leurs captifs n’étaient pas d’une grande importance; ils ne les considéraient pas comme des êtres humains et les morts étaient acceptables.
« Sur les navires, on parle de taux de mortalité très importants. C’est allé de manière croissante au fil de l’histoire avant de stagner. On parle d’environ 30 % au 15e et 16e siècle. Il faut comprendre que c’étaient des marchandises pour les personnes de cette époque-là », explique Issiaka Mandé.
Quand des pays se sont mis à combattre l’esclavagisme à partir de la fin du 18e siècle, le commerce d’êtres humains est entré dans la clandestinité et la dangerosité de ces périples en bateau s’est encore accrue avant de finalement s’estomper.
Sur les navires, les esclaves étaient entassés comme une marchandise. Illustration : Hulton Archive/Getty Images
L’histoire de l’esclavage ne se limite toutefois pas au passé; ses effets sont encore ressentis aujourd’hui. Le professeur de l’UQAM souligne les importants traumatismes intergénérationnels chez les descendants et les descendantes d’esclaves.
Les descendants sont les populations les plus pauvres et les plus marginalisées au sein de leur société. Ces traumatismes, cet héritage et cette place que l’on ne leur donne pas perdurent. La liberté ne se conjugue pas de la même manière dans certains pays pour les descendants d’esclaves comparativement aux descendants de colons.
Aujourd’hui, les réparations liées à cette période se font encore attendre et les recherches archéologiques donnent un nouveau sens aux revendications portées par la descendance des victimes de la traite des esclaves.
L’étude de l’histoire de l’esclavage est loin d’être complètement aboutie, chaque nouvelle découverte permet de porter un regard unique sur cette sombre pratique qui a transformé la colonisation de l’Amérique.
« Les navires, la façon dont les esclaves étaient transportés, c’est un exemple frappant de cette période. Cette partie-là de la traite des esclaves envoie un message vraiment puissant, en illustrant le déracinement de ces gens et le transport qui se faisait dans des conditions inhumaines », conclut l’archéologue Marc-André Bernier.