Peut-on faire confiance à nos souvenirs?

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La mémoire est une faculté faillible de l’être humain, et les souvenirs le sont tout autant; la science a permis de prouver à maintes reprises que des souvenirs qui semblent réels peuvent être inventés de toutes pièces, transformés ou influencés par des facteurs externes. Cette semaine au Gros laboratoire, Jean-René Dufort et Marie-Pier Élie ont décidé de tester la validité de ce constat scientifique.

Une expérience simple a été mise sur pied par l’équipe de l’émission afin de tenter d’influencer les souvenirs de 100 personnes qui se sont prêtées au jeu.

Devant cette foule de cobayes, l’animatrice Marie-Pier Élie a énoncé une série de mots liés directement au monde du sommeil : lit, repos, réveillé, fatigué, rêve, veille, roupillon, couverture, somme, assoupissement, ronflement, sieste, paix, bâillement et somnolent.

Après un bref intermède musical, on a demandé aux cobayes de fermer les yeux et de retirer leur chapeau si le mot « sommeil » avait été prononcé précédemment, puis de faire la même chose pour le mot « rêve ». La raison de cette réponse silencieuse? Ne pas se laisser influencer par la réaction des autres. 

Les cobayes du gros laboratoire lors d'une expérience sur les faux souvenirs.

Les cobayes lors de l'expérience du Gros laboratoire.

Dans le cas du mot « rêve », 87 % des personnes présentes ont été capables de confirmer qu’il faisait partie de la liste dictée par Marie-Pier Élie. Pour le mot « sommeil », qui ne figurait pourtant pas parmi les mots prononcés par l’animatrice, 56 % des cobayes ont cru l’avoir entendu.

Le duo d’animation du Gros laboratoire a donc conclu qu’un peu plus de la moitié des cobayes se sont rapidement construit un faux souvenir, en interprétant la situation plutôt que de se baser sur un événement réel.

« C’est parce que la mémoire humaine fonctionne plutôt par interprétation et par interconnexion. Dans ce cas-ci par exemple, nos cobayes ont surtout retenu que les mots de notre liste étaient tous liés au sommeil, ce qui explique pourquoi il y en a beaucoup qui se sont faussement rappelé avoir entendu le mot "sommeil" », résume Marie-Pier Élie.

L’expérience réalisée dans le cadre de l’émission possède ses propres limites; des personnes ont probablement donné une réponse au hasard, par exemple, mais les résultats obtenus vont tout de même dans le même sens que ce que de rigoureuses études scientifiques ont révélé auparavant.

 

Un problème réel, mais réversible

En 2021, des scientifiques de l’Université de Washington ont publié les résultats de leur recherche sur les faux souvenirs. Ces spécialistes sont catégoriques sur deux points : en premier lieu, il est très facile d’implanter de faux souvenirs chez des personnes et, fait encore plus intéressant, il est aussi tout à fait possible de déconstruire ces mêmes faux souvenirs.

Plusieurs facteurs contribuent à la création de faux souvenirs chez l’être humain, notamment la répétition d’une histoire et la corroboration de celle-ci par des proches, la distance temporelle avec le moment où l'événement se serait déroulé et la plausibilité de celui-ci. 

Ce type de souvenir est très répandu, particulièrement lorsqu’il est question de notre enfance. Il n’est pas rare que des personnes se rendent compte que des événements qu’elles ont cru avoir vécus plus jeunes étaient en fait arrivés à une autre personne de la famille, avaient été mal rapportés ou ne s'étaient pas produits du tout.

C’est le cas par exemple du psychologue Jean Piaget, qui se rappelait avoir vécu une tentative d’enlèvement lorsqu’il était enfant, avec des souvenirs des moindres détails de l’événement, jusqu’à ce qu’il apprenne des années plus tard que l’histoire avait été fabriquée de toutes pièces par sa gardienne et que le souvenir avait été implanté dans sa mémoire par simple répétition.

Ce phénomène psychologique est pour la plupart du temps inoffensif, mais il peut être extrêmement problématique dans certains contextes, comme dans le cas d’un processus judiciaire. De faux souvenirs, implantés par des interrogatoires et des suggestions, peuvent mener à des témoignages erronés ou même à des confessions basées sur des informations fondamentalement fausses.

Selon l’étude de l’Université de Washington, le meilleur moyen de lutter contre ces faux souvenirs est, heureusement, relativement facile : le simple fait de pousser une personne à remettre en question la validité d’un souvenir, à réfléchir aux sources de ce souvenir et à sa probabilité, de lui transmettre de l’information sur la facilité avec laquelle un souvenir peut être créé, peut être suffisant pour qu’elle arrive à distinguer le vrai du faux.

Les scientifiques théorisent aussi que plus un faux souvenir est implanté depuis longtemps, plus il peut être long à déconstruire avec cette technique. 

Cela ne veut pas dire qu’il faut remettre toute notre enfance en doute, mais il peut être pertinent de douter de certaines histoires farfelues et un peu floues qui nous sont restées en mémoire!