Photo prise par Tracy L. Kivell, Andrew S. Deane, Matthew W. Tocheri, Caley M. Orr, Peter Schmid, John Hawks, Lee R. Berger & Steven E. Churchill/Wikimedia Commons
À une extrémité du continent africain, des squelettes de ce qui est peut-être, ou peut-être pas, un Homo sapiens, à la morphologie étrange et à l’âge indéterminé. À l’extrémité opposée du continent asiatique, 47 dents témoignant de la présence d’Homo sapiens en Chine au moins 30 000 ans plus tôt que prévu.
Le lien entre ces deux découvertes, survenues à un mois d’intervalle? A priori, aucun. Le problème de la découverte sud-africaine est qu’on ignore l’âge des squelettes — baptisés Homo naledi. C’est le seul reproche qui a été adressé aux découvreurs, mais il est de taille : beaucoup de fanfare, mais il y manque une information capitale avant de redessiner notre arbre généalogique.
Leur découverte a certes été saluée avec enthousiasme par tous les préhistoriens —1550 os représentant au moins 15 individus, c’est une rareté, de surcroît jetés dans une caverne réputée inaccessible, comme s’il s’agissait d’un rite funéraire. Mais c’est l’âge qui fera foi de tout : si ces ossements ont 30 000 ans, c’est un Homo sapiens à la morphologie étrange — un mélange de traits « anciens » et « modernes ». S’ils ont plus d’un million d’années, c’est un être dont on n’aurait jamais cru qu’il puisse avoir des rites funéraires.
À l’autre bout du monde, dans une caverne du sud de la Chine, les faits sont par contre plus clairs : les 47 dents ont entre 80 000 et 120 000 ans. Et cet âge ouvre la porte sur une grosse remise en perspective : 100 000 ans, c’est à peu près l’âge, présumait-on jusqu’ici, des premiers Homo sapiens à peine sortis d’Afrique — ces plus anciennes traces étaient jusqu’ici en Israël, beaucoup plus près du continent africain. Pour autant qu’on sache, les Homo sapiens ont mis pied en Europe il y a seulement 50 000 ans. Ce qui signifie qu’ils auraient eu le temps de marcher jusqu’en Asie, longtemps avant de peupler l’Europe.
Depuis la mi-octobre 2015, des experts ont évoqué comme raison le climat : des humains nés sous les Tropiques auraient jugé la route de l’Est plus propice que celle du Nord. D’autres ont évoqué les Néandertaliens déjà établis en Europe, qui auraient agi comme « barrière naturelle » : une hypothèse difficile à faire avaler aux spécialistes des peuples de chasseurs-cueilleurs, tant la densité de population devait être réduite.
Cela dit, les dents sont « sans équivoque » celles d’un Homo sapiens, affirment les chercheurs qui, eux, ont publié dans une revue avec comité de révision par les pairs — leur article est paru le 14 octobre dans Nature.
Au final, entre l’Homo naledi sud-africain et l’Homo sapiens chinois, impossible de dire qui précède qui, faute d’une datation — et faute d’avoir un brin d’ADN. La recherche parue dans Nature n’évoque pas la possibilité de reconstruire l’ADN qui aurait peut-être pu survivre dans les dents, mais d’autres y rêvent déjà. Du côté sud-africain, une dizaine d’autres articles seraient à venir, sur la physiologie des jambes et du crâne par exemple, mais rien sur un éventuel ADN pour l’instant.