L'expert en fin du monde

L'expert en fin du monde

Si le nombre de questions qui se rendent jusqu’à la NASA devait servir d’indicateur, il faudrait conclure qu’il existe un très grand nombre de gens qui sont véritablement angoissés à l’idée d’une fin du monde le 21 décembre 2012.

Pas moins de 30 personnes, chaque semaine, interrogent l’astrophysicien David Morrison qui, à la NASA, s’est transformé depuis trois ans en un missionnaire de l’information rigoureuse sur... la fin du monde en 2012.

Il a même produit des vidéos — et du coup, il a découvert à quel point un « croyant » peut se révéler résistant devant une information rigoureuse.

Un exemple parmi les nombreux courriels reçus, fourni récemment par Morrison : « [La planète] Nibiru existe et je peux le prouver. Nibiru est dans l’Ancien Testament et l’Exode et vous, la NASA, surveillez Nibiru depuis un télescope de l’hémisphère sud et vous pouvez voir Nibiru en plein jour. Ça vous suffit, comme preuve? »

Un autre exemple, tel que cet astrophysicien le décrivait le mois dernier au blogueur Dan Duray : « Il n’est pas rare qu’un courriel commence par “Cher Monsieur. Je sais que vous travaillez pour le gouvernement et qu’on ne peut pas vous faire confiance, depuis que le Congrès a voté une loi rendant illégal pour quiconque le fait de parler au public d’un objet s’approchant de la Terre. Toutefois...” »

Mais on aurait tort d’en rire, poursuit-il, quand on lit des choses comme celle-ci : « J’ai 11 ans et j’entends tous mes amis qui disent que la fin du monde approche. Je ne peux pas dormir. Je ne peux pas manger. J’ai peur. Je pense au suicide. Que puis-je faire? Pouvez-vous m’aider? »

Incidemment, des commentaires tout aussi inquiets se glissent à l'occasion parmi ceux envoyés au texte que nous avions nous-mêmes publié en 2009.

David Morrison semble en vouloir aux médias généralistes, pour ne pas avoir traité davantage de cette peur de fin du monde, qui lui semble être un phénomène social trop répandu pour être pris à la légère. Il reproche aussi à ses collègues scientifiques de ne pas avoir attaqué suffisamment ces fausses croyances, auxquelles Internet donne une importance démesurée — Nibiru, le centre de la galaxie, l’axe de la Terre, les tempêtes solaires, le calendrier maya, et autres mythes.

D’un autre côté, il n’avait pas commencé son travail pédagogique avec cette thématique douteuse : en fait, Morrison, aujourd’hui âgé de 72 ans, était connu depuis la décennie précédente, à travers sa page « Ask an Astrobiologist ». Où se côtoyaient les questions les plus sérieuses comme les plus farfelues sur la recherche de vie extraterrestre.

C’est là, raconte-t-il, qu’en décembre 2007, il a reçu pour la première fois des questions sur une mystérieuse planète Nibiru : une planète censée revenir dans notre voisinage tous les 3600 ans, et dont le prochain passage à proximité de la Terre serait donc prévu pour le 21 décembre 2012. Surtout — ingrédient indispensable pour garder en vie une croyance du genre —, il s'agirait d'une planète à propos de laquelle la NASA garderait le secret. Dès décembre 2007, il a donc expliqué pourquoi une telle planète ne peut pas exister, et pourquoi, si elle existait, même les astronomes amateurs seraient capables de la voir depuis une décennie.

Depuis, le sujet a refusé de mourir : 5000 courriels en quatre ans, selon son estimation personnelle.

Lui qui avait jadis admiré l’astronome et vulgarisateur Carl Sagan pour son aisance à la télévision, s’est transporté sur YouTube. Sa vidéo The Truth About Nibiru a été vue des centaines de milliers de fois. Malheureusement, il a aussi généré 6000 commentaires, pas nécessairement du type espéré : « Ils commentent sur la taille de mon pénis et disent que je suis un vieux schnoque et que personne ne peut croire personne de la NASA. Ils peuvent dire par mon regard que je mens et parce que je sors ma langue parfois, je suis en réalité un extraterrestre, un Reptilien, etc. Oh, ça ne me fait pas de mal. Tout ça est nouveau pour moi. Peut-être que ça se passe comme ça tout le temps, mais je trouve juste ça incroyable. »

Quel impact ont ses efforts de vulgarisation? Aucun chiffre ne permet de dire s’il a converti des lecteurs à une pensée plus critique ou si, à l’inverse, en s’engageant dans cette « conversation », il n’a pas contribué à donner encore plus d’importance aux sottises Nibiréennes.

« Je suis un peu choqué par le nombre de jeunes gens qui partent de la prémisse que si c’est sur Internet, ça doit être vrai. Et dans ce contexte, il y a des milliers de sites et des centaines de vidéos sur YouTube qui sont carrément faux. Certains sont même astucieux : ils vont prendre mes vidéos, qui commencent par une image de moi et d’un logo de la NASA, et vont mettre ça au début de leur propre vidéo avec un titre comme “La NASA confirme Nibiru et la fin du monde”. »

Pour en savoir plus :

Un article de 2008 (mais toujours actuel!) : The Myth of Nibiru and the End of the World in 2012, par David Morrison, dans le Skeptical Inquirer.

La (longue) section Questions∕Réponses de son site sur 2012.
Ses vidéos (5 minutes) : The Truth about Nibiru et The Truth about 2012.

Aussi : 21-12-2012, juste une autre journée, par son collègue Don Yeomans.

Et un véritable documentaire d’une heure, à faire écouter à quiconque doit être rassuré : Surviving 2012 and Other Cosmic Disasters.

Sur le site de l'Agence Science-Presse :

Résumé en français des principales questions

Un épisode de Je vote pour la science : 2012: la fin (d'un) monde, mais pour qui?