Si la preuve de l’efficacité du port du casque à vélo fait encore débat, il est une autre question qui, elle, risque encore moins d’être réglée : l’éthique. Peut-on rendre obligatoire le port du casque, au nom du bien commun, quand on ne rend pas obligatoire la lutte contre des choses bien plus dommageables pour la santé?
Et ces deux questions sont liées : c’est parce que la recherche scientifique est incapable de prouver que le port du casque sauve plus de vies, qu’on n’a pas d’arguments éthiques solides pour rendre le casque obligatoire. C’est ce qu’écrit dans The Guardian l’expert en éthique médicale Carwyn Hooper : « Je concède que de faire du vélo “sans casque” peut entraîner des coûts sociaux plus élevés, parce qu’un certain nombre de ces cyclistes auront besoin de soins médicaux... Toutefois, les coûts totaux impliqués ici sont minuscules par rapport aux coûts générés par ceux qui fument, qui boivent avec excès, qui mangent mal ou qui ne font pas d’exercice régulièrement. De fait, il semble étrange de légiférer pour interdire à des gens, engagés dans une saine activité physique, de prendre le risque relativement mineur de créer un coût relativement faible —, et ce, tout en autorisant d’autres gens à s’engager dans des activités à très haut risque qui généreront d’énormes coûts sociaux. Le tout ressemble à une discrimination envers une minorité cycliste. »
Signalant au passage que l’industrie du casque est une invention des années 1900 — même pour les soldats, ils ont été jugés démodés pendant des siècles avant d’être réintroduits lors de la Première Guerre mondiale — Hooper ajoute que « la majorité des chercheurs croient que le casque de vélo procure une certaine protection, mais qu’il n’existe pas de consensus sur son niveau d’efficacité ». Ce qui n'empêche pas que, depuis l’Australie il y a 20 ans, de plus en plus de gouvernements travaillent à rendre ce casque obligatoire.
C’est le même propos que tient outre-Manche, depuis son blogue à l’Université de Poitiers, Nima Yeganefar, en rappelant la différence entre les notions de risque absolu et de risque relatif : le risque absolu, c’est la probabilité d’avoir quelque type d’accident que ce soit à vélo; le risque relatif quant à lui, « compare la protection apportée entre ceux qui ont un casque et ceux qui n’en portent pas ». « Si la protection du casque semble très importante (risque relatif de 70 %), elle n’est utile que si vous êtes victime d’un accident. Or si vous n’avez aucune chance d’avoir un accident (risque absolu), le port du casque devient alors inutile. Le risque absolu peut d’ailleurs varier en fonction de la population ciblée, les enfants sont par exemple plus susceptibles de tomber à vélo que les adultes. »
Chose certaine, les études citées par promoteurs et opposants se contredisent allègrement, rappelait Hooper en 2012 dans le Journal of Medical Ethics. Certains ont évalué à 60% la réduction du risque d’une blessure à la tête avec un casque, d’autres ont plutôt conclu à l’absence de données satisfaisantes.
Le problème ne se résoudra de toute façon pas que par des statistiques, poursuit Yeganefar. D’une part, il est possible que les gens qui portent un casque adoptent « un faux sentiment de sécurité » — en d’autres termes, qu’ils soient plus imprudents. D’autre part, la quantité de cyclistes et de voies cyclables semblent être des facteurs plus importants pour réduire le risque d’accident : le Danemark « est à ce type exemplaire ». « Avant d’imposer le port du casque obligatoire, il est peut-être plus efficace de créer une culture du vélo et les infrastructures qui vont avec. L’introduction de vélos en libre-service dans les grandes villes est en cela une petite révolution. L’augmentation des cyclistes a certainement un effet protecteur. »
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