La vulgarisation scientifique pour faire une différence : entrevue avec Olivier Bernard

Olivier Bernard

Les sujets épineux ne font pas peur à Olivier Bernard, comme il nous le prouve à nouveau dans la sixième et dernière saison des Aventures du Pharmachien. Que ce soit par la bande dessinée, l’écrit, la télévision ou la baladodiffusion, le vulgarisateur scientifique explore les fausses croyances et les pratiques controversées pour mieux comprendre leurs origines et leurs effets.

En informant le public et en l’incitant à développer une pensée critique, le Pharmachien fait une différence à sa façon depuis bientôt 10 ans. Nous avons discuté avec lui pour mieux comprendre son travail et les défis qu’il doit relever.


Qu'est-ce qui est à l'origine du Pharmachien?

OB : En 2012, ça faisait déjà à peu près huit ans que j’étais pharmacien. J’avais envie de faire quelque chose pour mieux joindre les gens. Je voyais qu’il y avait déjà beaucoup de fausses informations qui circulaient à l’époque. Des gens venaient souvent me voir avec de fausses croyances. J’avais envie de voir s’il y avait moyen de joindre beaucoup de gens en même temps, plutôt que de faire ça une personne à la fois en pharmacie.

J’avais envie de faire de la vulgarisation scientifique à ma manière, je voulais que ce soit illustré, mais je ne savais pas vraiment dessiner. Mon premier dessin, c’était un collage en fait, un pharmacien avec une tête de chien. Je me disais que ce serait un personnage, comme dans certains dessins animés. Finalement, j’ai abandonné ce concept, et tout le personnage, après, s’est un peu construit au fil du temps.

Personnages animés des Aventures du Pharmachien

Des personnages créés par Olivier Bernard, dans la saison 6 des Aventures du Pharmachien.

En 2019, tu as reçu le prix international John Maddox pour avoir défendu la science face à l’adversité. Comment est-ce qu’on fait face à l’adversité quand on aborde des sujets parfois controversés comme tu le fais? 

OB : Les sujets qui me fascinent le plus, c’est ceux-là. C’est des sujets qui divisent, des croyances qui vont aux extrêmes, des opinions très polarisées. Je trouve ça très intéressant parce que c’est souvent dans ces sujets-là qu’on peut creuser, pour essayer d’expliquer pourquoi les gens ont des positions aussi radicales. 

L’adversité, c’est sûr que je m’y attends : tu ne peux pas faire des sujets sensibles, délicats et polarisés et t’attendre à ce que tout le monde soit tout le temps content. J’ai toujours été conscient de ça, j’ai toujours accepté ça, mais c’est sûr que, statistiquement, plus ce que tu fais est connu, plus il y a du rayonnement et plus il y a de gens qui te lisent ou qui t’écoutent, plus tu t’exposes à une plus grande proportion de personnes qui ne sont pas contentes.

Il y a une espèce de règle non officielle que j’ai établie : 95 % de ce que je reçois comme rétroaction est très positif. Il y a 5 % de négatif. Honnêtement, je me motive grâce à ces 95 %. Il faut essayer de se ramener un peu à l’essentiel. Quand il y a des gens qui s’acharnent, c’est facile de se dire que ça prend toute la place. Je me reconnecte sur le positif, sur le fait que la plupart des gens sont bien contents.

Dans la dernière année, il y a beaucoup de journalistes, de scientifiques, de personnalités publiques qui ont fait face à ce genre d’adversité. Est-ce que ça t’a permis de mieux mettre les choses en perspective?

OB : Ça fait des années que je fais de la vulgarisation sur des sujets controversés, et quand il y a de l’adversité, ça peut être quand même assez difficile, assez intense. Parfois, j’en parlais à des collègues, et certains ne prenaient ça pas très au sérieux. C’est comme si la pandémie, dans les deux dernières années, avait mis tout le monde sur le même pied d’égalité à ce sujet.

Il y a beaucoup de gens qui ont réalisé ce qui arrive quand on prend position sur des sujets polarisés. J’ai discuté avec plusieurs de mes collègues qui ont eu une sorte d’éveil. La plupart des gens dans le milieu des sciences ou de la santé sont passionnés par leur travail, ils en ont déjà amplement avec ça. Beaucoup ne maîtrisaient peut-être pas l’ampleur du phénomène des fausses croyances, mais je pense que maintenant, tout le monde est vraiment au diapason.

Ça va aider les scientifiques à mieux se tenir les uns les autres. Il y en a qui comprennent mieux ce que c’est et à quel point ça peut être difficile. Je pense que ça va aussi m’aider par ricochet dans le futur, si jamais je vis des moments plus difficiles. On va pouvoir mieux se soutenir.

Olivier Bernard

Olivier Bernard, dans un épisode de la saison 6 des Aventures du Pharmachien qui traite des rêves.

Dans ton balado Dérives, tu pars de cas réels pour expliquer les effets des fausses croyances et des pseudosciences sur les gens. Est-ce que c’est une manière pour toi d’humaniser le sujet, en sortant un peu de la communication scientifique classique?

OB : Absolument! Je veux explorer différentes formes de vulgarisation. J’ai commencé avec les bandes dessinées, puis j’ai fait des livres, puis la série télévisée. Je trouve différents tons, différents styles pour atteindre des personnes différentes. Les gens qui écoutent Les aventures du Pharmachien ne sont pas nécessairement ceux qui vont consulter mon site web ou ceux qui vont écouter Dérives.

Pour moi, Dérives, c’est de la vulgarisation scientifique. Il y a des personnes qui me disent que c’est un balado de « true crime » ou d’intérêt humain, mais la réalité, c’est que, pour moi, c’est de la vulgarisation scientifique avec un angle un peu différent, exploré à travers une histoire humaine.

Est-ce qu’il y a un médium qui te parle plus qu’un autre?

OB : Non, je ne serais pas prêt à dire ça. J’ai vraiment du plaisir dans tout ce que je fais. La seule chose, c’est que je ne suis pas capable de tout faire en même temps. Je manque de temps; je n’ai pas fait de nouvelles bandes dessinées depuis le mois de mars, par exemple, et ce n’est pas parce que je n’en ai pas envie!

Je jongle un peu avec les occasions qui se présentent, je ne me sens pas obligé de faire une chose ou une autre. Par exemple, en ce moment je ne me sens pas obligé de faire une autre saison de Dérives nécessairement, mais si jamais il y a une occasion ou une histoire qui vient à moi et que je sens que ça va bien s’explorer sous la forme d’un balado, je peux aller de l’avant.

J’aime ça, avoir différentes plateformes, parce que je peux déterminer c’est quoi, la meilleure manière d’explorer certains sujets.

Justement, comment choisis-tu ces sujets?

OB : C’est un mélange, une moitié d'actualité et une moitié de sujets intemporels. J’essaie aussi d’y aller avec des sujets qui me motivent, qui me font plaisir. Pour la télévision, je cherche aussi des sujets avec des expériences ou des démonstrations intéressantes, étant donné que c’est très visuel.

Quels sont les meilleurs réflexes pour un citoyen ou une citoyenne qui veut bien s’informer?

OB : Depuis 2017, j’ai pris la tangente d’enseigner aux gens les outils de base de la pensée critique. De 2012 à 2017, j'explorais chaque sujet en départageant le vrai du faux, mais on peut faire ça à l’infini. Maintenant, j’essaie plutôt d'enseigner la pensée critique.

Dans un premier temps, c’est de réfléchir aux types d’arguments qui sont bons, à ceux qui ne le sont pas. Ça peut être de réfléchir aussi à ce qu'est une bonne source d’information. Ce n’est pas tous les sites web, tous les blogues, tous les médias qui sont aussi crédibles.

Olivier Bernard lors d'une expérience dans son laboratoire.

Une expérience de la saison 6 pour décortiquer les mythes sur les produits hydratants.

Je pense qu’une bonne façon de développer son esprit critique est de toujours aller lire aussi des choses qui vont à l’encontre de ce que l’on pense. Je pense qu’il faut qu’on fasse ça, sinon, on fait juste se conforter tout le temps dans nos convictions. C’est un exercice que je fais moi-même régulièrement, et l'on peut tous le faire. Si tu te demandes si les changements climatiques sont vrais, va lire de nombreuses sources qui te disent que c’est vrai, et d'autres qui te disent que c’est faux, probablement que tu vas être capable de voir de quel côté sont les meilleurs arguments.

 À quoi est-ce que l’on peut s’attendre cette année pour la sixième saison des Aventures du Pharmachien?

OB : La dernière saison, on a rebrassé les cartes sur différents plans. Maintenant, je me permets quelques sujets qui ne sont pas en lien avec la santé. C’est une saison qui a plus de vulgarisation scientifique. La grosse différence, cette année, c’est que je fais moins d’entrevues.

J’ai rééquilibré un peu la chose : il y a plus de segments dans mon laboratoire, je suis plus à l’écran à expliquer des choses, je fais des expériences, des démonstrations, il y a un peu moins d’entrevues. Sinon, c’est ce que les gens connaissent, et encore une fois, je me permets deux ou trois sujets qui sont en dehors du monde de la santé.

Olivier Bernard, merci!


Les aventures du Pharmachien se poursuivent pour une sixième saison tous les vendredis à 19 h 30 sur ICI Explora!