Si vous ne le saviez pas, aujourd’hui, le 20 mai, est la Journée mondiale des abeilles. Tout le monde sait qu’elles produisent du miel, mais il n’est pas connu de tous et de toutes qu’elles sont d’une importance capitale pour la production de fruits et de légumes et, donc, qu’elles jouent un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire. Or, ces petites bestioles font aujourd’hui face à de nombreux défis qui pourraient avoir de grandes répercussions, non seulement dans la nature, mais aussi pour l’être humain.
Pour en savoir plus sur la situation actuelle des abeilles au Québec et mieux connaître les rouages de l’apiculture, nous avons discuté avec Stéphane Leclerc, président du syndicat Les apiculteurs et apicultrices du Québec.
Voici le compte-rendu de cet entretien.
En quoi consiste le travail d’un apiculteur ou d’une apicultrice?
Partons de la base : le partenariat entre les abeilles et les fleurs dure depuis très longtemps. Les fleurs produisent du nectar pour attirer les abeilles qui, avec celui-ci, font du miel. En échange de ce nectar, les abeilles, quand elles se frottent à la fleur, ramassent plein de pollen et se promènent, ce qui pollinise d’autres fleurs. Ensuite, ce que nous faisons, les apiculteurs et apicultrices, c’est de travailler la ruche avec les abeilles. Nous allons dans les colonies, prenons le trop-plein de miel, parce que la colonie en produit naturellement plus que nécessaire. Lorsqu’il y a trop de miel, la colonie se divise pour se multiplier. Les abeilles vont donc en créer une nouvelle et suivre le même principe ad vitam æternam. C’est le phénomène qui se produit depuis des millénaires.
Une abeille butine une fleur./Crédits photo : iStock/Ralf Menache
Pour ce qui est du travail en apiculture, je dirais que depuis les 20 ou 30 dernières années, notre tâche première est de prendre soin des abeilles qui sont grandement affectées par les « hommeries », comme je les appelle. Les pesticides, les néoniques, les parasites importés en raison de la mondialisation, tout ça menace l’équilibre naturel du monde. Les apiculteurs et apicultrices sont là pour surveiller tout ça et doivent travailler avec les abeilles pour s’assurer que la colonie se porte bien, en plus de contrôler les agents pathogènes, les bactéries ou les maladies qui peuvent se trouver dans une ruche. En échange, nous prenons certains produits de la ruche, comme du miel, de la propolis, dans certains cas de la gelée royale ou du pollen, selon le moment de l’année. Nous veillons sur leur survie dans le temps.
Est-ce qu’il y a des défis particuliers auxquels vous devez faire face ces temps-ci?
Oui, il y en a beaucoup. D’abord, il y a toujours de nouveaux produits potentiellement dangereux pour les abeilles qui font leur apparition sur le marché, comme les néonicotinoïdes, un pesticide systémique qui pousse à même la fleur ou le plant et devient plus puissant sur la fleur que lorsqu’il a été mis dans le sol. Nous visons donc à ce que ces produits soient mieux contrôlés avec certaines réglementations. Sauf que ce qui arrive avec ces mesures, c’est que l’industrie trouve de nouveaux produits de remplacement qui, eux, n’entrent pas dans ces normes et sont pratiquement en vente libre. C’est un combat qui ne finit jamais.
Un frelon asiatique/Crédits photo : iStock/Kagenmi
Puis, il y a des parasites qui arrivent de l’extérieur, comme le petit coléoptère de la ruche, qui est aux limites de nos frontières. Quelques fois par année, il y a des signalements au Québec. Nous tentons de contrôler l’infestation avec l’aide du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Ensuite, il y a le frelon asiatique, qui est dans l’Ouest canadien et aux États-Unis. Nous craignons qu’il ne s’en vienne ici aussi éventuellement. À part de ça, il y a depuis le début des années 90 l’éternel varroa, une sorte de vampire de l’abeille qui s’installe dans son dos et tète son sang. La plupart des agriculteurs réussissent à vivre avec ce parasite tant bien que mal, comme c’est résiduel et il revient toujours; il faut donc effectuer des contrôles plusieurs fois par année pour être certain que ça ne tue pas l’abeille.
Quelles mesures pouvez-vous prendre pour contrer ce genre de parasites?
Il y a des mesures plus biologiques et d’autres plus chimiques, lorsque cela est nécessaire, qui peuvent être employées. Il y a aussi un centre de recherche à Deschambault qui est spécialisé dans la recherche de nouveaux produits biologiques pouvant nous venir en aide. D’ailleurs, nous aimerions bien qu’il y ait de nouvelles recherches à ce sujet prochainement. C’est un combat éternel : les chercheurs contre les parasites.
Ces années-ci, comment se porte la population d’abeilles du Québec?
Selon l’Institut de la statistique du Québec, les abeilles sont en augmentation depuis une vingtaine d’années. Sauf que si nous observons dans le champ pourquoi elles sont en augmentation, [nous constations que] c’est d’abord pour répondre à la demande des producteurs de bleuets, qui ont besoin de beaucoup d’abeilles pour la pollinisation des plants. Au fur et à mesure que leur demande augmente, nous essayons de la suivre. Ensuite, il y a une hausse parce que les pertes aussi sont en hausse, notamment en raison des pesticides. Si nous souhaitons continuer de vivre de notre passion et de travailler avec les abeilles, nous devons avoir plus de colonies disponibles. En cas de perte de 50 % des colonies d’abeilles dans un été, il faut pouvoir se relever et recommencer. C’est une autre des raisons qui expliquent pourquoi il y a plus d’abeilles d’une année à l’autre et que cette tendance devrait se poursuivre.
Une abeille travaille dans une ruche./Crédits photo : iStock/Valengilda
Outre la pollinisation, quels rôles importants joue l’abeille?
La pollinisation est vitale pour l’être humain : 35 % des produits se retrouvant dans notre assiette sont le fruit de ce processus. Sans abeilles, c’est 80 % moins de fruits. Il faut aussi prendre conscience que les abeilles, c’est la vie. Je vous donne un exemple : en 2008, je suis allé sur le terrain de mon grand-père pour cueillir des petits fruits, comme quand j’étais enfant, et je n’ai à peu près rien trouvé. Il n’y avait plus de framboises, plus de bleuets, plus de mûres et je ne comprenais pas comment c’était possible. Ensuite, j’ai placé des ruches sur le terrain, j’ai conscientisé mes voisins à diminuer le plus possible leur utilisation de pesticides et j’ai laissé le temps à la nature de reprendre vie. Aujourd’hui, il s’y trouve plus de 600 plants de framboises, 300 plants de mûres, et des fraises partout. La nature s’est réveillée d’elle-même : nous n’avons rien planté. Il y avait peut-être un ou deux plants qui avaient survécu au départ, puis avec l’aide des abeilles et du temps, ils se sont reproduits. Et ça a fait boule de neige : je ne voyais plus d’animaux sur le terrain et aujourd’hui, j’observe régulièrement des chevreuils, des renards, des mouffettes, des ratons laveurs; tous sont revenus. Tout part de l’abeille!
Est-ce que les changements climatiques pourraient affecter les abeilles éventuellement?
Oui, mais en ce qui nous concerne, ça va plutôt allonger la saison de production de miel au Québec. La seule chose, c’est que les changements climatiques vont amener des hivers plus froids, donc les apiculteurs devront investir afin de se procurer des systèmes d’hivernement à l’intérieur climatisés. On connaît cette technologie, mais il faudra s’équiper en conséquence. C’est un défi plus qu’une problématique, selon moi. Pour les abeilles, je dois dire que les impacts causés par les changements climatiques ne m’inquiètent pas trop.
Quelles sont les répercussions d’une diminution des populations d’abeilles?
L’abeille est une sentinelle pour nous. Elle est un peu l’équivalent du canari qui alertait les miniers d’un danger imminent à une autre époque. Outre la pollinisation, je crois qu’il s’agit de son plus grand rôle. Cela fait 20 ans qu’on dit qu’il y a un problème avec les néoniques, parce qu’ils ont causé beaucoup de tort aux abeilles, et ce n’est que récemment que des cas de cancers ont été répertoriés. C’est la même chose encore aujourd’hui : nous avons besoin qu’elle soit notre alliée.
Un apiculteur travaille sur une ruche./Crédits photo : iStock/Milan_Jovic
Est-ce qu’il y a des trucs concrets que tout un chacun peut appliquer pour aider les abeilles dans leur travail?
Oui, certainement. Je vais vous donner un exemple pour illustrer le tout : quand je suis allé en Suisse il y a quelques années, une dame passait avec son nouveau-né dans la rue à Lausanne et il y avait un buisson en fleurs sur le bord du trottoir. Il devait y avoir 300 abeilles en train de butiner. La dame a continué son chemin en passant à travers l’essaim d’abeilles, comme si de rien n’était. Personne n’a été piqué, parce qu’elle savait que les abeilles n’étaient pas dangereuses. Elle connaissait la différence entre une abeille et une guêpe. C’est un de nos grands défis ici, au Québec, éduquer les gens. Aussi, si vous souhaitez vous lancer dans l’apiculture pour le plaisir, il y a certaines consignes à respecter. D’abord, il faut s’informer correctement; il y a même des formations qui se donnent pour pouvoir le faire dans les règles de l’art. C’est important, parce que quelqu’un qui décide de mettre une ruche dans sa cour sans aucune formation et aucune info met en danger toutes les ruches aux alentours. Celle-ci peut devenir un nid à parasites et infecter toutes les ruches avoisinantes. Par exemple, il y a des maladies que nous n’avions pas vues depuis une quinzaine d’années qui sont de retour sur l’île de Montréal. C’est notamment parce que des amateurs utilisent du vieux matériel infecté, notamment par des champignons en dormance qui ne ressortent qu’une fois que les conditions optimales sont atteintes, que ces maladies sont de retour. Il faut être très prudent!
Une abeille butine un pissenlit./Crédits photo : iStock/tamer
Sinon, au printemps, c’est beau, des pissenlits. Pourquoi mettre des pesticides ou des produits chimiques pour les tuer? Ce n’est pas bon pour la terre, pour les abeilles ou pour les gens qui vont jouer dans le gazon ensuite. Ça ne sert absolument à rien de vouloir un gazon vert uniforme : les trèfles, les pissenlits, c’est beau, c’est la nature. Faites attention à votre environnement de vie et tout le monde sera gagnant. Je pense qu’on le comprend avec la COVID-19 aussi : il faut faire attention à la planète.
Comment entrevoyez-vous l’avenir dans votre milieu?
Je suis très optimiste. Je vois mon père, qui n’est pas dans une forme parfaite : il rend toujours visite à ses abeilles et il les verra jusqu’à son dernier souffle. Même chose pour moi. Je m’attends à ce que nous ayons beaucoup de défis à relever, mais je pense que les apicultrices et apiculteurs sont tenaces et déterminés. Il faut foncer. Chaque fois qu’il y a une problématique, nous sommes proactifs et nous trouvons des solutions. Nous nous serrons les coudes et tout le monde, dont l’abeille, en sort gagnant!
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos quelques questions!
Vous désirez en savoir plus sur le métier extraordinaire d’apiculteur et apicultrice? Visitez le site web des Apiculteurs et apicultrices du Québec.
Si cet entretien a piqué votre curiosité, nous vous invitons à regarder Les secrets de la ruche, un documentaire fouillé sur le sujet, ce soir à 18 h sur ICI Explora