L’effet Dunning-Kruger se manifeste au Gros laboratoire

Une cobaye du Gros laboratoire sous la supervision de Jean-René Dufort et Marie-Pier Élie lors d'une expérience.

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Savez-vous comment fonctionne une toilette? La plus récente expérience du Gros laboratoire démontre que bien des Québécois et Québécoises qui répondent « oui » à cette question surestiment fortement leurs compétences en matière de plomberie. Ce phénomène de surconfiance serait en fait bien répandu, au point qu’il a été nommé par les scientifiques : il s’agit de l’effet Dunning-Kruger.

Sous l'œil vigilant de trois experts en plomberie, les cobayes du Gros laboratoire ont fait de gros efforts pour expliquer le fonctionnement d’une toilette à Jean-René Dufort et Marie-Pier Élie lors de l’expérience diffusée à l’émission mercredi.

La plupart ne savaient en fait pas du tout comment fonctionnait une toilette, mais à peu près tout le monde s’est octroyé une excellente note sur une échelle de 1 à 10 quand on leur a demandé d’évaluer leurs connaissances en la matière. 

Curieusement, les cobayes qui s’y connaissaient un peu en plomberie étaient généralement plus modestes que leurs pairs dans l’évaluation de leur degré de compétence.

Est-ce que l’on peut donc dire que les personnes peu qualifiées dans un domaine ont tendance à surestimer leur niveau de compétences? Oui, du moins selon les résultats obtenus dans le contexte de cette expérience! 

C’est aussi un avis qui serait sans doute partagé par les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger, qui ont pris soin d’explorer cette fascinante question en long et en large dans les années 90.

 

L’effet Dunning-Kruger, qu’est-ce que c’est?

L’effet Dunning-Kruger désigne un décalage prononcé entre la perception de nos connaissances sur un sujet donné et la réalité. Dans certains cas, on pourrait même parler d’un entonnoir inversé : moins on connaîtrait de choses sur un sujet, plus on surestimerait nos compétences face à celui-ci et vice versa.

Ce phénomène est aussi nommé effet de surconfiance, une appellation moins populaire, mais certainement plus explicite. Il peut tout simplement s’expliquer par le fait que moins une personne est familière avec un sujet, moins elle est consciente de tout ce qu’elle ignore!

Une autre personne plus expérimentée pourrait, en comparaison, être mieux à même de savoir que ses connaissances sont relativement modestes comparativement à celles de spécialistes du domaine.

Un graphique qui illustre les bases de l'effet Dunning-Kruger.

Ce graphique est un exemple des facteurs considérés dans l'étude de Dunning-Kruger. Image : Wikimedia Commons

Il est toutefois important de préciser que l’effet Dunning-Kruger est souvent mal interprété : il ne signifie pas que les personnes incompétentes dans un domaine se considèrent comme meilleures que les spécialistes. Il indique simplement que ces personnes ont tendance à plus facilement surévaluer leur propre niveau de compétence. La nuance est importante!

 

Un braquage et du jus de citron

Un événement particulièrement étrange est à l’origine de la célèbre étude de Dunning et Kruger : en janvier 1995 à Pittsburgh, deux criminels – McArthur Wheeler et Clifton Earl Johnson – se sont aspergé le visage de jus de citron pour commettre des braquages, croyant que cette ruse allait leur permettre de dissimuler leur identité. 

Avant leurs méfaits, Wheeler et son complice avaient appris qu’il était possible de produire de l’encre invisible avec du jus de citron. 

Après avoir réalisé quelques tests douteux avec un appareil photographique instantané, les deux braqueurs se seraient alors mutuellement persuadés que le fruit possédait une propriété unique qui permettait de les rendre invisibles pour les caméras.

Un homme avec un masque de bandit et des citrons.

Lorsque Wheeler s’est fait arrêter quelques semaines plus tard et qu’il a vu son visage intact dans les images captées par les caméras de surveillance, il se serait exclamé avec surprise qu’il « portait pourtant du jus ».

Fascinés par l’absurdité de la chose, Dunning et Kruger ont donc tenté de comprendre ce qui avait poussé ces malfrats à aboutir à un tel raisonnement qui défiait la logique, au-delà de la simple stupidité. 

C’est par la suite, en utilisant leurs élèves comme cobayes dans différents contextes, qu’ils sont parvenus à établir leurs conclusions sur les liens inversés entre le degré de connaissance d’un sujet et le niveau de confiance d’un individu.

 

Une étude imparfaite?

Comme c’est le cas avec bien des études du domaine de la psychologie, l’effet Dunning-Kruger ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique.

Des spécialistes sont d’avis que l’étude originale indiquerait par exemple surtout une forme de censure de l’expertise plutôt qu’une surconfiance : devant une évaluation chiffrée, les expertes et les experts dans un domaine seraient peut-être portés à être plus modestes, alors que les personnes moins compétentes auraient peur d’afficher leur ignorance. 

De plus, les expériences de Dunning et Kruger ayant été réalisées en Amérique du Nord, elles n’ont pas nécessairement tenu compte des différences culturelles ou des autres aspects qui pourraient avoir une influence sur la perception de soi d’un individu.