L’éducation pour renforcer la parité des genres en science

L’éducation pour renforcer la parité des genres en science

Au Québec, bien que les femmes soient plus nombreuses que leurs homologues masculins dans de nombreux domaines universitaires, certaines professions scientifiques demeurent une chasse gardée pour les hommes. Le monde scientifique d’aujourd’hui est-il hanté par les mêmes spectres qui ont certainement complexifié les carrières de Marie Curie et de Hedy Lamarr? À l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, ICI Explora s’est penchée sur la question.

 

Si les sciences de la santé n’ont généralement pas de mal à attirer les femmes, il n’en est pas de même pour tous les secteurs des sciences pures ou du génie. Professeure titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie (CFSG) de l’Université de Sherbrooke, Eve Langelier étudie la question au quotidien.

Elle-même détentrice d’un doctorat en ingénierie biomédicale et d’une maîtrise en génie mécanique, elle est témoin du changement du milieu à la fois par sa profession et par son expertise. Selon Eve Langelier, il y a encore du travail à faire; la situation des femmes dans les domaines scientifiques typiquement associés aux hommes s’améliore lentement. « Les chiffres augmentent très tranquillement, et le bien-être des filles sur place augmente aussi. Elles aiment plus ce qu’elles font », explique-t-elle.

Selon les statistiques de la chaire, bien que les femmes soient majoritaires dans presque tous les domaines universitaires, elles représentaient seulement 43 % des inscriptions en sciences pures et appliquées en 2015-2016 et 21% des inscriptions dans les domaines du génie pour l’année 2017-2018. L’informatique et la physique étaient parmi les disciplines où les femmes étaient les plus sous-représentées, avec respectivement 17 % et 23 % pour l’année 2017-2018.

S’agit-il de disciplines mal-aimées par les femmes ou plutôt de secteurs qui ont historiquement été façonnés à l’image des hommes?

 

La socialisation en cause

Difficile de mettre le doigt sur la source précise de cette inégalité entre les deux sexes, mais plusieurs éléments sont considérés par la professeure de l’Université de Sherbrooke. « Les causes sont multiples. Ce n’est pas une seule chose que l’on peut facilement identifier. Ce n’est pas quelque chose qui est inné. On ne naît pas en aimant plus la biologie ou en n’aimant pas le génie, c’est acquis par la façon dont on élève les enfants, par les effets de la société », précise Eve Langelier.

Bien sûr, de nombreuses études ont prouvé que la socialisation a une incidence certaine sur le développement des enfants. Après tout, il est facile d’imaginer que les stéréotypes de genres imposés aux enfants peuvent avoir une influence sur leur choix de carrière. Une génération de jeunes garçons exposés dès le plus jeune âge à des outils développera peut-être un intérêt pour les métiers de la construction, alors que de jeunes filles exposées à une trousse de médecin auront peut-être un éveil plus prononcé sur le monde de la santé.

Pour Eve Langelier, il s’agit aussi d’un phénomène qui peut se présenter d’une manière beaucoup plus abstraite, influençant la confiance en soi ou la perception de l’intelligence. Par exemple, si, dès un plus jeune âge, on renforce l’importance de l’intelligence chez un garçon et de la beauté chez une fille, il est possible que cela affecte les limites que ces personnes s’imposent.

« Les métiers qui sont associés à l’intelligence sont parfois moins convoités par les femmes. Très jeunes, on leur présente l’intelligence comme une chose associée plus à l’homme qu’à la femme. Elles ont alors moins tendance à se diriger vers ces métiers », résume l’ingénieure.

 

S’outiller pour mieux comprendre

En plus de récolter des statistiques pour mieux étudier ces questions, la CFSG informe et outille les différents milieux pour contribuer à l’intégration des femmes dans les domaines des sciences et du génie. Les ressources de la chaire visent autant les employeurs que les universités, elles cherchent à abattre les stéréotypes et elles permettent aussi d’attiser l’intérêt des femmes envers des métiers qui attirent naturellement plus les hommes.

« On peut toujours en faire plus. La question, c’est de savoir où commencer, comment s’y prendre… Je crois que c’est surtout une question d’éducation et de sensibilisation. Je pense que les universités et les facultés font beaucoup d’efforts pour recruter des femmes. Il faut comprendre qu’il faut les recruter, mais aussi faire en sorte qu’elles soient bien après. Sinon elles vont partir! »

- Eve Langelier

Au-delà d’une présence accrue des femmes dans les secteurs des sciences pures et du génie, la professeure est d’avis qu’il faut s’attarder à la diversité au sens large en matière d’innovation. Elle évoque en exemple les algorithmes d’intelligence artificielle, construits dans un domaine avec une grande proportion d’hommes, qui ont plus de difficultés à identifier des visages féminins. Le problème est encore plus présent lorsque ces femmes sont issues des minorités visibles. Tout comme les différents domaines méritent d’être plus inclusifs, les produits doivent aussi refléter cette évolution.

« Pour certains tests de voiture, on utilise l’homme moyen, on n’a pas de mannequin qui représente la femme, ce qui peut occasionner plus de blessures. On peut aussi penser à la diversité en général, les différents types de personnes et de corps. C’est très important de tenir compte de la diversité de la population. On va ainsi faire de meilleurs produits qui vont être meilleurs pour tout le monde », résume Eve Langelier.

Dans les différents secteurs, à l’université comme sur le marché du travail, les barrières de genre s’effritent peu à peu pour les scientifiques, mais la professeure est d’avis que ce n’est que le début d’un long chemin vers des milieux plus paritaires.