On le savait déjà, plusieurs drogues illégales contaminent les sources d’eau potable. Une récente étude pilotée par Viviane Yargeau, professeure au département de génie chimique de l’Université McGill, révèle toutefois que les traitements des eaux usées analysées ne parviendraient pas à en éliminer toutes les traces.
Les drogues présentes dans l’eau
Les drogues présentes sous forme de traces dans l’eau de surface à proximité des rejets des stations d’épuration et des sources d’eau potable, sont en fait des résidus pharmacologiques.
En tout, 17 drogues différentes ont été recensées dans les eaux analysées, en Ontario, par la chercheuse. « Nous les avons détectées en différentes variations, suivant les journées, sans aucune confusion possible. Certaines ne sont pas persistantes, telle l’héroïne, mais d’autres sont stables et il est aisé de les quantifier. »
Comment se retrouvent-elles dans l’eau?
C’est par les toilettes que ces résidus, non métabolisés par le corps humain, parviennent à contaminer l’eau. Ils sont excrétés dans l’urine et circulent jusqu’à la station d’épuration des eaux, puis sont rejetés dans la rivière. La lumière aide à la leur biodégradation et les sédiments à leur rétention, mais pas complètement, comme le révèlent ces récentes analyses.
Leur présence dans l'eau constitue-t-elle un danger?
Il n’y aurait rien d’alarmant, du moins pour la consommation humaine. « Mais même en l’absence de danger direct, je ne serais pas à l’aise pour dire qu’il ne faut rien faire face à ce cocktail de contaminants. Au contraire, nous devons améliorer notre traitement des eaux usées, comme l’Europe l’a déjà fait », affirme cependant la chercheuse. Quant aux poissons, « pour l’instant, aucune étude ne s’est penchée sur ce que fait la cocaïne aux poissons », ajoute-t-elle.
S'agit-il d'un nouveau phénomène?
Non. Il y a même un colloque international consacré à ce problème. Les Européens, particulièrement les Suisses sensibles aux questions environnementales, seraient en avance sur l’Amérique du Nord sur ces questions.
Comme l'analyse des eaux usées permet d’estimer la consommation de drogue d’une population, l'équipe de la chercheuse travaille à l’élaboration d’un outil alternatif aux déclarations des citoyens. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie de prévention de la consommation de drogues et d'information auprès des intervenants — et des forces policières — des changements du marché des drogues.
Comment les éliminer?
« Faire bouillir l’eau ne constitue pas la solution », confirme la chercheuse. Elle recommande plutôt l’ozonation, un procédé de désinfection de l’eau à base d’ozone — un agent oxydant et désinfectant puissant capable d’éliminer bactéries et virus. La Ville de Montréal a déjà recours à ce procédé dans ses installations de Charles-J.-Des Baillets, Lachine et Pierrefonds.
L’ozonation présente un double avantage : elle élimine la prolifération des pathogènes et des drogues dans l’eau. « C’est l’occasion de faire une pierre, deux coups. Surtout en l’absence de législation pour améliorer le contrôle des rejets pharmaceutiques dans l’eau de surface », relève-t-elle.
Rappelons qu’il n’existe pas de définition québécoise de déchets pharmaceutiques et qu’il n’est donc pas illégal de rejeter ce type de déchets en l’absence d’un réel cadre règlementaire approprié.
Retrouve-t-on le même phénomène au Québec?
« Nos analyses, menées en Ontario, sont tout à fait applicables au Québec. On y trouvera les mêmes drogues », confirme-t-elle. Par ailleurs, son équipe vient de recevoir une subvention pour poursuivre ses recherches au Québec — dans un lieu encore à déterminer – sur l’impact potentiel de ce phénomène de libération de drogues, via les canalisations, sur la qualité des sources d’eau potable.
Quel avenir pour l’eau potable?
Avec le vieillissement de la population, l’augmentation des prescriptions de médicaments risque aussi de faire augmenter la concentration des produits chimiques pharmaceutiques présents dans l’environnement. La chercheuse a déjà observé ce phénomène dans les zones à densité plus forte de personnes âgées. « Les deux drogues s'y retrouvant en plus grande concentration sont l’oxycodone — un analgésique stupéfiant puissant qui appartient à la famille des opioïdes — et la codéine – un analgésique narcotique que l’on utilise contre la douleur. »
D’autres contaminants, issus de l’industrie pharmaceutique et des produits d’hygiène pourraient également nuire aux sources d’eau douce, tel le triclosan, un antibactérien et conservateur utilisé dans les désinfectants pour les mains. Mais il s'agit là d'une autre étude…