Déversement de fer dans le Pacifique

Déversement de fer dans le Pacifique

(Photo : Archipel Haida Gwaii prise par upyernoz/Wikimedia Commons)

En juillet dernier, un homme d’affaires américain a loué un navire pour vider 100 millions de tonnes de sulfates de fer dans le Pacifique, près de la Colombie-Britannique. Les motifs, noyés sous la controverse qui a finalement vu le jour : favoriser le retour du saumon, au bénéfice de la population amérindienne locale, et fournir à cette dernière des crédits de carbone.

Du moins, ce sont les deux motifs avancés par Russ George, un Californien de 62 ans, pour se défendre d’être un « voyou du climat » qui aurait lancé une expérience sans se soucier des conséquences écologiques.

Il y a effectivement une base scientifique à son expérience. Le problème, résume le blogue collectif Deep Sea News, c’est que les risques sont tellement difficiles à évaluer que toutes les autorités qui avaient été approchées aux États-Unis avaient refusé de donner leur accord. « Sans aucun souci pour le principe de précaution, [il] proposait essentiellement de la géoingénierie à grande échelle, avec peu, voire aucune connaissance des effets qu’aurait la fertilisation par le fer sur les écosystèmes océaniques. »

C’est depuis 2007 que Russ George se fait le promoteur de cette idée, au début par l’intermédiaire de la firme créée à cette fin, Planktos. L’idée en question, c’est que des « injections » massives de fer dans l’océan feraient croître les populations de plancton, ce qui aurait deux impacts positifs :

- La croissance de la population de saumon, qui se nourrit entre autres de plancton;
- Davantage de CO2 absorbé par l’océan, grâce à ce plancton supplémentaire; donc, moins de CO2 dans l’atmosphère; donc, ralentissement du réchauffement climatique.

Mais les données scientifiques pour affirmer que de telles expériences n’auront pas d’effets secondaires sont maigres. Il en est de même pour l’ensemble du domaine appelé géoingénieriequi propose différents projets pour limiter le réchauffement climatique. Cette incertitude explique pourquoi la Convention des Nations Unies sur la biodiversité a recommandé un moratoire en 2008 sur la géoingénierie. Il existe aussi une entente internationale sur la protection des milieux marins, signée à Londres en 2008, qui interdit « des activités de fertilisation des océans à des fins autres que des recherches légitimes ».

Comment démontrer que ça marche?

En entrevue au Guardian de Londres, qui a été le premier à dévoiler cette histoire le 15 octobre, Russ George a qualifié ces deux ententes internationales de « mythologie », qui ne s’appliqueraient pas à son projet.

Mais il pourrait être difficile à Russ George de démontrer que son expérience a eu l’impact souhaité. Bien que des images de la NASA aient confirmé une croissance du plancton sur une zone de 10 000 kilomètres carrés à proximité de l’archipel Haida Gwaii (nord de la Colombie-Britannique), reste à voir combien de temps ça durera, et si l’écosystème local en sera affecté ou non.

Il faudrait pour cela un suivi par des scientifiques indépendants. Mais déjà, la NOAA (Administration américaine des océans et de l’atmosphère), qui avait accepté de prêter 20 bouées pour traquer l’évolution du plancton, a récemment émis un commentaire où elle affirmait avoir été « dupée » par le groupe, « qui n’avait pas révélé qu’il allait vider du matériel dans l’océan ». Russ George a également refusé de nommer les scientifiques qui suivraient, selon ses dires, l’évolution de cette expérience, qu’il qualifie du « plus important projet de restauration des océans de l’histoire ».

Selon Deep Sea News, qui critique sévèrement Russ George depuis des années, c’est en 2008, après la faillite de Planktos, que le mot « restauration » ou « écorestauration » est apparu dans ses communications : « Écorestauration, ou restauration des écosystèmes de plancton, est juste une façon différente de dire fertilisation des océans par le fer. »

C’est aussi en 2008 que la géoingénierie a tout doucement commencé à faire parler d’elle au-delà des cercles spécialisés, avec un texte d’opinion signé par 16 scientifiques dans Science : « Il est prématuré de vendre des crédits de carbone découlant de la fertilisation d’océans avec du fer, à moins que la recherche ne fournisse les bases scientifiques pour en évaluer les risques et les bénéfices. »

Que gagnent les Haïdas?

Dans toute cette histoire, il reste le cas des Haïdas, qui auraient payé Russ George 2,5 millions $, selon ce dernier. Le président de la nation Haïda a confirmé au New Scientist que l’entrepreneur « a convaincu un de nos villages que c’était une bonne chose ». Le fait que cette controverse ait surgi sur la place publique a toutefois obligé le président du partenaire commercial local de Russ George, la Haida Salmon Restoration Corporation — propriété des Haïdas — à se défendre d’avoir entrepris quoi que ce soit qui pourrait nuire à l’environnement, et à affirmer que le ministère canadien de l’Environnement avait été dûment consulté.

Il n’est pas clair si le fait d’avoir donné leur accord à cette expérience permettrait aux Haïdas de réclamer des crédits de carbone sur le marché international.

C’est le groupe canadien, ETC Groupe, voué à suivre l’évolution des technologies affectant l’environnement, qui aurait été le premier à découvrir cette nouvelle.

À lire : un billet qui, dès 2007, critiquait sévèrement les justifications avancées par la firme de Russ George, Planktos.