Des maisons de disques certifiées vertes

Des maisons de disques certifiées vertes
Émile Bilodeau

Bravo musique a créé un précédent pour les maisons de disques québécoises : elle a obtenu en janvier une accréditation écoresponsable. 

 

« C’est le fun de voir qu’on place un jalon. On espère voir d’autres maisons de disques faire comme nous », nous dit au bout du fil Marilou Beauchamp-Lalonde, productrice déléguée au sein de Bravo musique (ex-Dare to Care Records, rachetée par Béatrice Martin, alias Cœur de pirate, l’année passée).

Soulignons que la maison de disques Bonsound a emboîté le pas à Bravo au chapitre de l’accréditation écoresponsable. 

 

Petit comité voit grand 

L’équipe de Bravo était déjà sensible à la cause environnementale, au point que Marilou, motivée par un enthousiasme ambiant, a mis sur pied un comité vert pour ses collègues en 2019. D’« actions éparses, pas trop organisées, selon notre bon vouloir », le comité a pris du galon, raconte la productrice écolo. « L’accréditation a permis de nous structurer et de donner une validité au comité. » 

« Ce ne sont pas juste quatre granos qui incitent les gens à apporter leurs Tupperwares au resto pour éviter les boîtes jetables », dit-elle en rigolant.

Une structure, donc, car le fait qu’une maison de disques s’engage en matière d’écoresponsabilité et accomplisse des actions, plutôt que de laisser celles-ci reposer sur les épaules d’artistes individuellement, permet de centraliser les efforts, comme l’expliquait Caroline Voyer, directrice générale du Réseau des femmes en environnement, en entrevue avec la réalisatrice d’On dira ce qu’on voudra, Chloé Sondervorst.

 

Actions concrètes 

Concrètement, les préoccupations environnementales des artistes se reflètent notamment dans le « devis technique », fiche de demandes à l’attention des exploitants de salles et responsables de tournée, tant pour les concerts en salle qu’à l’extérieur. D’ailleurs, « il n’y a pas vraiment de différences entre les demandes pour les festivals ou en salle », précise Marilou en entrevue.

Dans les loges, par exemple, les artistes peuvent demander que la vaisselle réutilisable et les aliments locaux ou en vrac soient privilégiés pour les repas fournis, plutôt que les bouteilles en plastique, les produits suremballés et autre vaisselle jetable.  

Autre exemple concret? Au sein de Bravo, presque l’ensemble des artistes compensent au moyen de crédits carbone les gaz à effet de serre émis lors de leurs tournées. Les sommes versées – 1 $ par billet vendu – à Artistes pour le climat, organisme fondé par Les Cowboys Fringants en 2019, servent à reboiser le territoire québécois. 

Jolie histoire : Marilou est arrivée à cette idée de crédits carbone après qu’Émile Bilodeau, l’un des protégés de la maison de disques, a émis le souhait de réduire l’empreinte de ses tournées

 

« Que le mot se passe » 

D’ailleurs, un souhait en matière d’écoresponsabilité est revenu tel un leitmotiv chez Marilou durant notre entretien : que le mot se passe. 

« Notre force d’action, c’est créer un mouvement », affirme-t-elle au sujet de l’industrie culturelle. « Ce serait chouette que d’autres maisons de disques au Québec entendent parler [de l’accréditation] et décident de l’appliquer aussi, que les diffuseurs se mettent au diapason avec nous. J’espère que les autres compagnies vont se joindre à nous et que le mot va se passer. » L’appel est lancé!

À ses yeux, c’est en chœur que les acteurs de l’industrie – maisons de disques, organisations culturelles, producteurs de spectacles, agences d’artistes et associations– changeront réellement la donne. 

Bien que ses collègues et elle ressentent une grande fierté à l’égard de leur « bébé », une initiative comme l’accréditation « ne sert à rien si on est les seuls à l’utiliser », fait-elle observer avec lucidité. 

« L’idée, c’est vraiment que le mot se passe, que ce ne soit pas juste nous, au sein de Bravo, où on est donc hot d’avoir un comité vert et de l’appliquer. C’est un beau projet, mais il y en a plein, des beaux projets! Si c’est juste une petite fierté corporative, ça ne change rien, on s’en sacre », lance-t-elle en riant. 

 « L’idée, c’est qu’il y ait de vrais changements, que ça bouge pour vrai. On a passé l’année à nous motiver avec notre accréditation, mais si dans cinq ans il ne reste plus rien de tout ça et que c’était juste une bulle au bureau, où les quatre membres du comité vert, on s’est bien amusés, ben… ça ne sert à rien. »

C’est pourquoi elle souhaite tant que l’accréditation écoresponsable résonne dans le paysage culturel et que d’autres y adhèrent, que l’engagement croisse afin que les pratiques écologiques circulent et ultimement s’implantent, et qu’ainsi se décuplent les répercussions. 

« Ce qu’on fait là, ça doit être le début de quelque chose de beaucoup plus long, de plus gros, de plus implanté », dit la productrice avec vigueur, rappelant que les projets d’écoresponsabilité s’échelonnent à long terme. « C’est tout nouveau, tout frais, c’est une petite bulle, mais ça doit se répandre. »

Marilou insiste néanmoins sur une chose : la maison de disques ne donne pas dans la remontrance. « Ce sont aux festivals ou aux salles de respecter [les demandes en matière d’écoresponsabilité], mais on ne se met pas à chicaner ceux qui ne les respectent pas. On espère ne pas être les seuls à les demander. Si une salle se fait de plus en plus demander des trucs en vrac, qu’on est le 10e artiste à le demander, peut-être qu’elle va se dire : “Je devrais peut-être le faire.” »

 

Le Festif!, figure de proue

Le Festif! de Baie-Saint-Paul, un évènement archipopulaire dans Charlevoix, s’illustre en matière d’écoresponsabilité et bien des festivals pourraient s’en inspirer, selon Marilou. « Eux, ils sont top! Ils me viennent en tête tout de suite. Aucune bouteille d’eau jetable n’est vendue sur le site; il y a des stations d’eau. Dans les loges, il y a des trucs en vrac et locaux. Ils misent beaucoup sur les produits de Charlevoix, autour de chez eux. »

Des évènements ayant sciemment emprunté le virage vert comme Le Festif! ou La Noce, au Saguenay, pourraient-ils influencer la façon de faire des plus gros festivals? Si ceux-ci sont de « grosses machines très complexes à gérer », Marilou relève leur pouvoir d’achat accru. « Il y aurait moyen d’avoir un plus grand pouvoir sur les commanditaires », estime-t-elle.

Il reste que « si toute l’industrie se mettait à être super écoresponsable, je ne pense pas que ce serait ça qui sauverait la planète », convient la productrice, relativisant l’incidence de l’industrie culturelle sur l’environnement. « Il y a bien d’autres industries qui ont un plus gros pouvoir sur les émissions de gaz à effet de serre et tout. »

« Nous, notre pouvoir, c’est de rejoindre le monde. » Un argument de taille.

 

Des artistes au public

La faculté des artistes de toucher le cœur de leur public et de possiblement lui inspirer des gestes écoresponsables, la productrice y croit foncièrement, offrant un vibrant plaidoyer à ce propos. Un ascendant porteur d’avenir, peut-on ajouter.

« Les entreprises culturelles, on est un vecteur de communication avec le public, expose Marilou. Je pense que nos artistes ont plus de portée que nous, comme maison de disques – ils sont au cœur de tout ça. Je pense qu’ils ont le pouvoir de rejoindre les gens, d’influencer le public, et je pense que c’est là-dessus qu’il faut miser. »


Marilou Beauchamp-Lalonde et Bravo – sans compter Artistes citoyens en tournée, acteur phare en matière d’implication – sont la preuve indéniable qu’au sein de l’industrie culturelle, une mouvance est à l’œuvre. La solution aux yeux de la productrice réside certainement dans la collaboration des artistes, de l’industrie culturelle et du public afin que, par la force du nombre, les requêtes écologiques d’aujourd’hui soient les réflexes de demain, et que les détritus et cadavres de bouteilles d’eau jonchant les parterres de salles et de festivals soient chose du passé.