La cuisine farouche de Colombe St-Pierre

La cuisine farouche de Colombe St-Pierre

Pour Colombe St-Pierre, l’acte de cuisiner va plus loin que la simple satisfaction des bouches et des estomacs. Son art culinaire est politique, combatif, réflexif : c’est à coups d’oursins et de plantes sauvages qu’elle remet en question le fonctionnement du système alimentaire. 


Diffusé le 6 décembre à 21 h sur ICI Explora et le 10 décembre à 21 h sur ICI Télé, le documentaire Colombe sauvage met en lumière l’impressionnant travail gastronomique de Colombe St-Pierre, qui pave la voie à une nouvelle manière d’aborder nos ressources naturelles en cuisine. 


C’est au Bic, près de Rimouski, que la cheffe Colombe St-Pierre fait chauffer les poêlons. Son restaurant, Chez Saint-Pierre, attire une clientèle curieuse de découvrir les goûts propres à la région, avec des plats qui cherchent à ouvrir de nouveaux horizons gustatifs.

« Je mets des choses sur ma table que les autres n’osent pas y mettre parce que ce n’est pas populaire. Quand tu viens dans un restaurant, normalement, tu as envie de choisir, car tu payes. Ici, depuis deux ans, les gens ne choisissent plus. C’est moi qui décide ce qu’ils mangent », explique Colombe St-Pierre.

Colombe St-Pierre

Ce n’est pas un côté autoritaire qui pousse la cuisinière à déterminer les plats des gens, c’est plutôt un désir d’avoir une cuisine écoresponsable, qui se base sur des produits saisonniers et locaux. « Si ce n’est pas le temps des fraises et que j’ai envie de manger un shortcake, je me retiens. Il faut vraiment se réhabituer à vivre avec les saisons et arrêter de pousser des marchés qui détruisent la planète juste, par exemple, parce qu’on a envie de manger des fraises », affirme-t-elle.

Au lieu d’importer ses précieux ingrédients, elle fait affaire avec plus d’une trentaine de fournisseurs de la région qui l’approvisionnent en produits de la pêche, en légumes, en viande et en volaille. Ce qu’elle n’achète pas de ces fournisseurs, elle le cueille dans les bois ou le trouve sur les berges du Saint-Laurent. Du lichen aux oursins, les recettes de Colombe St-Pierre pavent la voie à une nouvelle identité culinaire nordique.

« Ma cuisine interroge continuellement l’actualité. Le réchauffement climatique, les espèces en voie de disparition, l’identité québécoise. C’est vraiment la réflexion autour de chaque plat qui pose la question de l’identité. »

– Colombe St-Pierre

Une cuisine à saveur politique

Malgré sa renommée qui trouve un écho à l’international, la grande cheffe a surtout le Québec dans sa mire. Elle voudrait que la province développe une meilleure autonomie alimentaire, qu’elle profite de ses richesses plutôt que d’exporter celles-ci.

Dans des cas comme celui des pêcheurs et des pêcheuses d’oursins par exemple, elle dit comprendre que fournir le Québec plutôt qu’une entreprise étrangère peut représenter plus de travail ainsi qu’un risque de pertes accru sur les produits à la revente. Il faut comprendre que bien que cet animal marin soit considéré comme un produit de luxe au Japon, il est peu consommé au Québec.

Elle est d’avis qu’il faut donc développer notre goût pour ce genre de produits, en plus de changer nos législations pour encourager cette transformation de l’économie alimentaire.

Pour y arriver, il faudrait rendre les produits locaux plus abordables, mais aussi expérimenter et créer avec ceux-ci pour susciter l’intérêt des Québécois et des Québécoises. « Si nos parents nous avaient servi de l’oursin quand on était jeunes, on en aurait mangé. Nos références au goût se font à partir de l’enfance. Essayer de faire aimer un produit mal aimé, ça pousse la créativité au maximum », précise la cuisinière.

La chair d'oursin est bien appréciée à l'étranger, mais peu consommée au Québec / Photo : iStock

Avant de mettre quelque chose dans l’assiette, Colombe St-Pierre s’assure de respecter sa vision. Elle reconnaît que ce n’est certainement pas toujours facile, mais que c'est ce qui s’inscrit dans ses valeurs. « Je ne suis pas capable de cuisiner un produit sans me demander si c’est correct de manger ça, si j’encourage quelque chose qui n’a pas d’allure. La question alimentaire, c’est sans nom, sans fond, sans fin. Tout le monde mange, tous les jours. »

Elle affirme ne pas être contre la production industrielle, mais « il faut savoir qu’il y a deux modes de production ». Manger ce qu’il y a dans notre cour plutôt que de dépendre des livraisons peu écologiques provenant de nos voisins, c’est l’idée qu’elle met de l’avant.

Chez Saint-Pierre

Au restaurant Chez Saint-Pierre, l’ambiance est festive et chaleureuse, en cuisine comme en salle. La sophistication sauvage des plats requiert une maîtrise culinaire rigoureuse, mais l’équipe semble y arriver de manière joviale et décontractée. Pour celle qui cuisine depuis ses 14 ans, cette légèreté des âmes est un élément essentiel au bon fonctionnement de son établissement.

« Le plaisir en cuisine, c’est primordial. Ce n’est pas parce que tu travailles sérieusement que tu n’as pas le droit d’avoir de fun. J’ai toujours trouvé que c’était vraiment lourd, les ambiances en cuisine. C’est un métier vraiment difficile. Si tu n’as pas un peu de plaisir, tu ne peux pas faire ça longtemps. »

– Colombe St-Pierre

La cuisinière poursuit son travail près des fourneaux. L’éveil gustatif qu’elle transmet ici, au Bic, attire des gens d’un peu partout, des bouches qu’elle s’efforce ensuite de surprendre par les nouveaux goûts de ses créations.

Reflétant son amour pour la région, ses plats s’élèvent les uns après les autres comme de nouvelles références de la culture culinaire québécoise. Qu’elle le fasse en réaction à la crise climatique ou à l’exportation de nos richesses naturelles, c’est avec combativité que Colombe St-Pierre trace son chemin au cœur de cette époque tumultueuse de notre histoire alimentaire.