Se cryogéniser pour repousser la mort

Se cryogéniser pour repousser la mort

Contrairement à la croyance populaire, la dépouille de Walt Disney n’a pas été cryogénisée, cependant la vôtre pourrait l’être en échange d’une coquette somme d’argent. Des forfaits allant de 36 000 à 260 000 dollars sont offerts par des entreprises de cryogénisation afin de préserver votre corps, ou votre tête, à une température permettant une réanimation ultérieure. Science-fiction ou réalité?  

 

La cryogénisation et les principes de cryoconservation visent la conservation d’organismes vivants par l’utilisation du froid extrême (-190 degrés Celsius), combiné à un processus de congélation et de décongélation calculé. Stéphan Beauregard, directeur du Cryonics Institute, l’une des principales organisations de cryogénisation, ajoute aussi que l’objectif est de « pouvoir les ressusciter ultérieurement grâce aux avancements technologiques du futur, tels que la nanotechnologie. »

Comment pouvez-vous ajouter votre nom à la liste des quelque 300 personnes actuellement cryogénisées dans le monde?

D’abord, vous devez être membre d’une entreprise offrant un service de cryogénisation. En Amérique du Nord, ce sera soit l’organisme sans but lucratif (OSBL) Cryonics Institute (CI), situé au Michigan, soit Alcor, en Arizona. Pour le CI, les tarifs débutent à 36 000 dollars.

Après avoir déterminé les modalités du contrat et versé la somme requise, il vous faudra attendre votre mort pour profiter de votre investissement (oui, cryogéniser une personne de son vivant comme dans Futurama est, à ce jour, illégal). « Ceux et celles qui font des arrangements avec le Cryonics Institute sont des gens qui accordent une importance supérieure à la moyenne à la possibilité d’une durée de vie considérablement prolongée et qui répartissent leurs actifs en conséquence », précise Stéphan Beauregard.


Les corps pris en charge par le Cryonics Institute peuvent être préservés indéfiniment dans des cuves refroidies à l'azote liquide / Photo : Cryonics Institute

À votre mort, chaque minute compte, c’est donc le branle-bas de combat : transport adapté, refroidissement du corps, maintien de la circulation sanguine et injection d’anticoagulants ne sont que les premières étapes. Avant d’être envoyé vers une citerne saturée par l’azote liquide, votre corps sera injecté de substances pour contrer les effets néfastes du froid extrême. Il devra également être refroidi pendant 5 jours consécutifs dans une poche d’isolation pour atteindre la température de -196 degrés Celsius.

Après ces étapes parsemées de perfusions et d’opérations délicates, on vous transférera à l’unité de stockage à long terme, pour rejoindre les 175 personnes et 169 animaux de compagnie déjà cryogénisés par l’OSBL. Dans l’idéal, on viendra vous sortir de là dans quelques décennies afin de vous réanimer et de guérir la maladie qui a causé votre décès, lorsque la science médicale aura évolué. Simple, non? Pas exactement…

Une science encore imparfaite

Les principes de cryopréservation sont plus complexes que le simple rangement de cellules et de tissus biologiques au congélateur. Il s’agit d’une fine valse avec le froid, et les dommages qu’il occasionne. Des scientifiques sont parvenus à congeler et décongeler avec succès de petits organes d’animaux, mais il s’agit d’opérations hautement complexes et dont les ramifications sont méconnues. Alors que les principes de congélation commencent à être bien compris, c’est surtout la décongélation qui pose problème. Les cristaux de glace et les molécules formées par le processus peuvent ravager les structures biologiques, à un point tel que même les plus petites cellules peuvent être déchirées. Certains cryoprotecteurs permettent de minimiser la formation des cristaux de glace, mais la toxicité de ceux-ci entraine d'autres problématiques. 

« Évidemment, on a beaucoup plus d’expertise en matière de cellules isolées que d’organes entiers. C’est, en somme, assez limité. Ce sont de petits organes avec certains animaux. On est loin de dire que ça va être applicable à des organes plus importants comme un pancréas ou un foie humain », explique d’emblée François Ouellet, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et expert en cryopréservation.


En plus des humains, le Cryonics Institute procède aussi à la cryogénisation des animaux de compagnie

Pour ce qui est de la cryogénisation efficace et sans dommages d’un être humain, le professeur affirme sans hésiter que nous ne sommes pas là pour le moment. Pour lui, rien n’est impossible dans l’avenir, mais il est encore beaucoup trop tôt pour pouvoir imaginer que cette forme de préservation pourrait se faire sans dommages irréparables sur le corps humain. « Je pense qu’il y a des bases scientifiques pour dire que peut-être que ça va finir par fonctionner. Est-ce que l’on a maintenant les outils pour le faire? Absolument pas. »

Stéphan Beauregard ne prétend pas non plus avoir de certitudes pour l’avenir, mais il a confiance en l’évolution des technologies médicales. « Tout comme un billet de loterie, nous ne sommes pas certains que ce procédé fonctionnera, mais pour plusieurs, mieux vaut l’essayer que de ne rien tenter du tout. Je fonde beaucoup d’espoir sur la nanotechnologie et sur les recherches indépendantes qui se font, et qui se feront, à l’international également », exprime-t-il.

Signe de son espoir, il a d’ailleurs lui-même décidé d’opter pour la cryogénisation, lorsque la mort viendra. Il décrit le procédé comme « une ambulance vers le futur » et un moyen d’étendre sa vie. « J’ai décidé d’opter pour la cryogénisation, car j’aime beaucoup la vie, malgré ses défis constants. Je trouve qu’on n’a pas assez de temps pour réaliser tous nos rêves et nos projets. »


Stéphan Beauregard, directeur du Cryonics Institute / Photo : Cryonics Institute

Pour le moment, il est impossible de prédire ce qui se passera si un jour les technologies permettent la cryogénisation réussie d’un être humain jusqu’à la décongélation complète de celui-ci, mais bien d’autres défis seront présents. « Il n’y a pas eu d’études à long terme sur les succès et la survie des organismes qui ont reçu des organes vitrifiés. Survivre 48 h, c’est une chose, mais un être humain ne veut pas juste vivre deux jours. La cryonie, c’est un départ, mais il y a aussi tout le reste. Une personne qui est morte du cancer a toujours le cancer lorsqu’on la dégèle! Il faut réactiver les fonctions métaboliques, renverser les dommages de la congélation, régler les maladies et les conditions négatives… », précise François Ouellet. 

La cryogénisation au Québec

Depuis 2016, le Cryonics Institute fait affaire avec le complexe funéraire Magnus Poirier, situé dans la région de Montréal, pour rendre son service accessible aux québécois. « Nous nous occupons du volet de récupération, de la préservation de la personne décédée et de l’acheminement à l’institut de cryonie », résume Marie-Josée April, directrice de funérailles pour le complexe.

Les frais moyens de funérailles étant estimés à 7000 dollars, la cryogénisation est une option beaucoup plus chère, mais cela ne semble pas avoir découragé les deux individus du Québec qui ont signé un contrat avec le complexe. « Le but, c’est d’avoir une forme de vie éternelle. Les personnes qui optent pour la cryogénisation veulent une forme de vie après la mort. Souvent, elles sont atteintes du cancer ou d’une maladie incurable. Ces gens-là se disent "tant qu’à mourir, je tente ma chance dans l’espoir d’une réanimation future" », souligne la directrice de funérailles. 

Justifiés ou non, ces espoirs résident chez de nombreuses personnes, jeunes ou vieilles, comme semble l’indiquer la liste les 1601 personnes qui ont signé un contrat avec le Cryonics Institute, selon les informations obtenues auprès de l’OSBL. « Proprement parlant, c’est une méthode de conservation du corps. C’est plus dans les espoirs des gens qui choisissent cette option-là que ça devient une méthode de repousser la mort », conclut Marc-André Poirier, également directeur de funérailles pour Magnus Poirier.

Pour l’expert en cryoconservation François Ouellet, chacun est bien libre de ses choix et rien n’est impossible, mais des questions éthiques pèsent dans la balance. « Même si l’on trouve les méthodes appropriées pour congeler et décongeler une personne, et que ça soit viable, est-ce que cette dernière veut se réveiller après plusieurs dizaines, voire centaines d’années? Moi personnellement, je ne voudrais pas me réveiller dans un monde que je ne connais pas, avec tous les gens autour de moi partis, même par curiosité scientifique… »