Ces dernières années, avec chaque nouvelle étude sur l’intelligence des corbeaux, la frontière semble devoir être repoussée un peu plus loin. Voici qu’à présent, on emploie le mot « raisonnement ».
Le mot est vague à souhait, mais il désigne quelque chose qui, pour autant qu’on puisse en juger, n’est réservé qu’aux humains : vous entendez un bruit sourd, vous vous demandez ce qui le cause, et après avoir soupesé différentes hypothèses, vous arrivez à la conclusion qu'il s'agit d'un camion. Même si vous ne voyez pas la source du bruit. En langage savant, on dit que vous avez attribué une cause à un effet.
L’animal, lui, ira simplement se cacher s’il se sent menacé, ou s’éloignera du bruit s’il en a la capacité. Mais il ne se mettra pas à soupeser le pour et le contre.
Comment déterminer si un corbeau est capable de faire une relation de cause à effet? Des chercheurs néo-zélandais ont pour cela monté une expérience complexe à l’intention de corbeaux calédoniens, une espèce qui a démontré des capacités surprenantes depuis 10 ans — en particulier l’utilisation d’outils.
En gros, le test reposait sur la présence d’un bâton relié à une boîte où était cachée de la nourriture. Les huit corbeaux en captivité (5 adultes et 3 jeunes) ont rapidement appris qu’ils pouvaient retirer de la nourriture en tirant sur le bâton. Et c'est ensuite que commençait la véritable recherche : en certaines occasions, un humain entrait dans la boîte, s’y cachait et faisait remuer le bâton, puis quittait, au vu et au su des oiseaux. En d’autres occasions, le bâton remuait sans qu’un humain ne soit entré dans la boîte.
Les corbeaux allaient-ils raisonner que dans le premier cas, ils pouvaient s’approcher de la boîte sans danger — puisque l’humain avait quitté — alors que dans le deuxième cas, le bâton avait remué pour une raison inexpliquée et donc, représentait un danger potentiel?
C’est effectivement ce qui s’est produit : ils sont demeurés plus méfiants dans le deuxième cas, jetant fréquemment un regard sur le bâton suspect. Ce « raisonnement », qui semble simple à nos yeux, signifie qu’ils ont appliqué une cause à un effet, même s’ils ne pouvaient pas voir la cause — en l’occurrence, ils ont déduit que l’humain caché était la cause, dans certains cas, du mouvement du bâton.
Les psychologues estiment que les bébés humains en sont capables aux environs de 7 mois et sans cette capacité, il n’y a pas en nous l'envie d’inventer, expérimenter, bref, créer. Ce serait, ont écrit les chercheurs dans une récente édition de la revue PNAS, la première fois que cette « capacité cognitive » est observée expérimentalement... ailleurs que chez les humains.