Cannabis : déficit de recherches

Cannabis : déficit de recherches

Alors qu’un déblocage autour de la légalisation du cannabis pointe à l’horizon, l’urgence se fait plus que jamais sentir du côté des données à acquérir sur son usage.

Ce n’est qu’en 2013 que l’Uruguay est devenu le premier pays à complètement légaliser le commerce de marijuana. Sans aller jusque-là, l’Espagne, l’Italie et d’autres ont allégé ou éliminé les peines pour simple possession — pendant que la majorité des États américains et le Canada en autorisent désormais l’usage à des fins médicales. Le Colorado, l’État de Washington, l’Alaska et l’Oregon en autorisent déjà l’usage « récréatif ». Et d’autres États risquent de s’ajouter à cette dernière liste lors des élections américaines de 2016.

Et pourtant, les scientifiques sont en retard. « Il y a environ 100 fois plus d’études sur le tabac et l’alcool », se plaint un des chercheurs interrogés par la revue Nature, qui consacre dans son dernier numéro un dossier spécial à « l’expérience cannabis ».

Certes, les pires craintes — le cannabis qui causerait la schizophrénie, par exemple — ou les espoirs les plus fous — le cannabis contre le cancer — sont sans fondements. Par ailleurs, les effets secondaires immédiats sont assez bien documentés — perte de mémoire et de concentration, accès de paranoïa dans certains cas. Mais les effets secondaires à plus long terme — dépendance, problèmes respiratoires, impact lorsque mélangé avec l’alcool — sont très difficiles à mesurer, pour la simple raison qu’on a peu de données sur l’usage réel qu’en font les gens dans le confort de leurs foyers.

Nature donne ainsi l’exemple d’un chercheur qui, alors que l’État de Washington légalisait l’usage « récréatif » en 2013, a tenté de mesurer la quantité que consomme un usager régulier. Problème : l’usager d’une substance illicite a plutôt tendance à sous-estimer la quantité qu’il consomme... Utilisant l’anonymat, Internet et beaucoup d’infographies, Beau Kilmer, du Centre de recherche sur les drogues à Santa Monica, est arrivé à la conclusion que la quantité totale consommée dans l’État de Washington était de 175 tonnes par an... alors que l’estimation officielle était de 85 tonnes.

La rapide légalisation fournit toutefois une opportunité comme des chercheurs en médecine en ont rarement : ils se retrouvent avec des cohortes de gens clairement identifiables « avant » et « après ». En ce sens, la légalisation du cannabis s’apparente, pour la médecine, à une expérience avec des cobayes. « Certaines des recherches les plus riches en informations que nous puissions effectuer se font juste au moment où le marché change », résume le psychologue social Robert MacCoun, de l’Université Stanford.