État des lieux des espèces sauvages du Québec

L'orignal a une population abondante sur le territoire du Québec.
iStock/Tempau

Depuis quelques semaines, la série Le refuge de l’espoir, présentée les lundis à 18 h sur ICI Explora, relate les péripéties se déroulant au refuge pour animaux sauvages Hope for Wildlife. En plus de documenter le passage des nombreux visiteurs mal en point, comme les castors, aigles, phoques et hiboux, l’émission s’intéresse aux différentes personnes qui viennent à la rescousse de la faune sauvage un peu partout dans le monde.

Inspirés par le sujet de la série documentaire, nous avons souhaité en savoir plus sur l’état des lieux des espèces sauvages du Québec. Ainsi, nous avons discuté avec Isabelle Gauthier, biologiste et coordonnatrice provinciale des espèces fauniques menacées et vulnérables au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) du Québec.

Voici ce qu’elle avait à nous dire.


Combien d’espèces d’animaux sauvages pouvons-nous compter sur le territoire du Québec?

La Liste de la faune vertébrée du Québec compte 649 espèces qui fréquentent régulièrement le territoire de la province. Quand on dit « régulièrement », ça inclut les espèces qui complètent l’ensemble de leur cycle vital ici; les tortues, par exemple. La liste comprend également les espèces qui fréquentent régulièrement le Québec d’une année à l’autre, comme les oiseaux migrateurs, sans toutefois y compléter l’ensemble de leur cycle vital. D’autres espèces, comme les baleines qui viennent passer du temps dans nos eaux pour s’alimenter avant de repartir vers le Sud pour se reproduire, y sont aussi comptabilisées. Aux 649 espèces de vertébrés, il faut aussi ajouter les quelque 30 000 espèces d’invertébrés terrestres et aquatiques qui se trouvent sur le territoire québécois.

Comment faites-vous pour suivre l’évolution des espèces?

Il y a des espèces qui sont étudiées en priorité par rapport à d’autres, selon leur niveau d’importance. Par exemple, les espèces exploitées ou en situation précaire sont suivies de très près. Pour les espèces exploitées – celles qui sont chassées, piégées ou pêchées –, on réalise des programmes de suivi assez fréquemment, entre autres en faisant des inventaires aériens ou des pêches expérimentales. On mise également sur des plans de gestion qui présentent un portrait de l’évolution des populations, tout en préconisant différentes mesures qui permettent un certain niveau d’exploitation des espèces aquatiques et terrestres, et ce, tout en assurant leur pérennité à long terme. L’autre source de données pour les espèces exploitées nous vient des territoires fauniques, comme les pourvoiries. Sur ces territoires, les gens qui vont chasser, pêcher ou piéger nous aident à suivre l’évolution des populations des différentes espèces sur le territoire québécois en nous transmettant leurs statistiques d’exploitation (nombre d’individus pêchés et chassés, et espèces ciblées), qui fournissent des informations complémentaires aux inventaires et permettent de suivre l’évolution de la qualité de la chasse et de la pêche.

L'orignal est une espèce en abondance sur le territoire québécois.
Un orignal. Crédits photo : iStock/Tempau


Et pour les espèces en situation précaire?

Il faut utiliser d’autres approches, parce qu’elles sont généralement beaucoup moins présentes sur le territoire et qu’elles sont aussi souvent rares et non exploitées, ce qui veut donc dire qu’on a peu ou pas de statistiques d’exploitation pour ces espèces. On réalise donc des suivis et des inventaires ciblés pour ces espèces ou pour des groupes d’espèces. Par exemple, on a mis des réseaux de « routes d’écoute », qui consistent à enregistrer les sons produits par les animaux s’y déplaçant grâce à des stations d’écoute installées aux endroits propices. À chaque station, on va notamment y entendre des amphibiens ou des chauves-souris selon les routes utilisées lors des inventaires. L’ensemble des données récoltées sur les espèces en situation précaire se trouve dans un centre de données qui s’appelle le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ); cela constitue le cœur de notre travail sur les espèces en situation précaire. 

On évalue régulièrement chacune des 649 espèces de vertébrés en leur attribuant une cote de priorité selon une méthodologie utilisée à la grandeur de l’Amérique du Nord. Chacune des espèces aura une cote de précarité nommée « rang S », qui va de 1 à 5; 1 étant les espèces très rares et précaires, et 5, les espèces en abondance. C’est à l’aide de ces cotes, révisées régulièrement, qu’on est capable d’estimer quelles espèces sont les plus précaires sur notre territoire et quelles sont les espèces les plus abondantes. 

Le MFFP publie également des bilans du rétablissement et des plans de rétablissement, aux 10 ans, de même que des rapports sur la situation des espèces. Ces documents renferment de l’information concernant l’état des espèces, ainsi que l’augmentation ou la diminution des populations, de l’aire de répartition occupée ou des habitats (qualité et quantité).

Enfin, pour l’ensemble des espèces fauniques, le MFFP, en collaboration avec le milieu universitaire, développe actuellement une approche novatrice d’inventaire basée sur les molécules d’ADN qui sont présentes dans l’eau. Cette technique, appelée ADN environnemental (ADNe), permet d’amplifier les brins d’ADN des espèces fauniques présentes dans les lacs et les cours d’eau du Québec, et ce, même pour des espèces rares et peu abondantes.

Le nombre d’individus fluctue-t-il beaucoup selon les espèces?

C’est grandement variable d’une espèce à l’autre. Pour certaines espèces, de façon naturelle, le nombre d’individus au sein d’une population peut varier grandement d’une année à l’autre selon les conditions environnementales qui prévalaient au moment de la période de reproduction. Si on prend le cas de la gélinotte huppée, c’est une espèce dont la survie des jeunes est intimement liée aux conditions environnementales en début de saison. S’il y a plusieurs jours de pluie, de vent, de froid, la survie des oisillons est réduite, et il y aura beaucoup moins d’individus dans la cohorte lors de la saison de chasse suivante, à l’automne. 

La gélinotte huppée est un oiseau emblématique du Québec.
Une gélinotte huppée. Crédits photo : iStock/R_Koopmans


Pour d’autres espèces animales, le nombre d’individus au sein d’une population varie de façon cyclique selon l’état des populations de leurs prédateurs, comme les célèbres cycles du lièvre d’Amérique et du lynx au Canada. Le nombre d’individus peut donc être relativement stable d’une année à l’autre ou varier grandement, selon les espèces ou les conditions de l’environnement dans lequel elles évoluent. 

Combien d’espèces ont disparu au cours des dernières années? Pouvez-vous nous en nommer quelques-unes?

Selon la Liste de la faune vertébrée du Québec, quand on dit « disparues », il y a deux niveaux de disparition : les espèces qui ne se trouvent plus sur le territoire du Québec, mais qui sont présentes ailleurs dans le monde, et les espèces qui ne sont plus sur la surface de la Terre. 

Parmi celles qui sont disparues du Québec, mais qu’on trouve ailleurs, il y a le bar rayé, qui avait une population historique dans le fleuve Saint-Laurent. Aujourd’hui, on le trouve notamment dans les eaux du Nouveau-Brunswick. Il y a aussi une nouvelle population de bars rayés qui a été réintroduite dans le Saint-Laurent. Dans ce groupe d’espèces, on peut aussi mentionner le morse, le courlis esquimau et le wapiti.

Le wapiti a déjà vécu sur le territoire du Québec, mais ne s'y retrouve plus aujourd'hui.
Un wapiti. Crédits photo : iStock/bscottberg


Parmi les espèces qui n’existent plus dans le monde, et qui étaient présentes au Québec, on peut nommer le grand pingouin et la tourte voyageuse, entre autres.

Quelles sont les mesures adoptées pour protéger les espèces menacées?

Pour les espèces désignées menacées ou vulnérables du Québec, ou pour les espèces inscrites sur la liste des espèces susceptibles d’être désignées, le gouvernement met en place une équipe de rétablissement composée de personnes venant de différents milieux (universités, ministères provinciaux et fédéraux, municipalités, groupes de conservation, etc.). Les membres de l’équipe produisent un plan de rétablissement qui détaille les objectifs ainsi que les différentes actions à mettre en place pour aider l’espèce à se rétablir. Ces plans s’échelonnent sur une période de 10 ans; on dispose donc d’une dizaine d’années pour mettre en place les différentes actions qui y sont intégrées. Celles-ci seront très variées en fonction de l’espèce et des principales menaces l’affectant. L’équipe de rétablissement doit donc produire le plan, puis en coordonner la mise en œuvre en collaboration avec ses nombreux partenaires. Actuellement, au Québec, on dénombre 14 équipes de rétablissement qui visent à aider 29 espèces.

Concrètement, que pouvez-vous faire pour aider les populations?

Il y a trois grands volets dans nos plans de rétablissement. D’abord, on vise à sensibiliser le public, les acteurs et les développeurs ainsi que tous ceux qui interviennent sur le territoire à la fragilité des espèces vulnérables et aux endroits où elles se trouvent. Oui, il faut permettre le développement sur le territoire, mais en tenant compte de certaines restrictions. Ensuite, il y a le volet d’acquisition de connaissances. Pour plusieurs espèces, on ne connaît pas nécessairement très bien l’aire de répartition ou l’état des populations, alors il faut en apprendre davantage sur elles. Le troisième volet est d’améliorer la qualité ainsi que la quantité des habitats disponibles. Il y a un vieil adage qui dit « pas d’habitat, pas de faune », ce qui signifie malheureusement, la plupart du temps, que la détérioration et/ou la disparition des habitats affectent grandement nos espèces. D’autres plans de rétablissement, notamment ceux concernant les chauves-souris, se penchent sur des solutions à la suite de l’arrivée d’une nouvelle maladie affectant ces espèces.

La quantité et la qualité des habitats ont un grand impact sur les populations d'espèces sauvages.
Crédits photo : iStock/Onfokus


Certaines espèces sont-elles particulièrement à risque avec les changements climatiques?

Il est actuellement difficile de savoir quelles seront les répercussions des changements climatiques sur les espèces fauniques sauvages du Québec, mais leur impact va probablement nuire à leur capacité à résister aux autres pressions qu’elles subissent actuellement. Une des conséquences des changements climatiques est une augmentation de l’instabilité du climat, et de nombreux scénarios indiquent que les vagues de chaleur, les périodes de sécheresse et les épisodes de précipitations abondantes seront de plus en plus fréquents. En contrepartie, l’accroissement des températures pourrait être bénéfique aux espèces situées à la limite nordique de leur aire de répartition.

Les espèces qui sont très abondantes, comme l’orignal et le chevreuil, risquent moins d’en être affectées. Si on prend l’exemple des espèces de tortues, elles auront tendance à se déplacer vers le Nord pour avoir des conditions plus fraîches. Cependant, d’autres animaux – comme l’ours blanc – qui sont déjà au Nord verront leurs aires de répartition diminuer de plus en plus avec le temps et les changements climatiques.

L'ours blanc est une espèce particulièrement à risque en raison des changements climatiques.
Un ours blanc. Crédits photo : iStock/Alexey_Seafarer


Les impacts des changements climatiques sur les habitats sont nombreux. Par exemple, des pluies abondantes dans un court laps de temps risquent d’entraîner beaucoup de sable et de sédiments dans les ruisseaux et les rivières, ce qui aura pour effet de colmater les frayères où les poissons vont déposer leurs œufs. D’autres espèces, comme les moules d’eau douce, courent le risque d’être littéralement ensevelies lors de ces événements. Les taux de mortalité de celles-ci seront donc probablement plus élevés. C’est certain qu’il est difficile de prédire exactement les bouleversements qui seront causés par les changements climatiques pour chacune des espèces, mais celles qui sont déjà en situation précaire auront une menace de plus à affronter pour leur survie à long terme.

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous parler!


Si la faune sauvage du Québec et du Canada vous intéresse, nous vous invitons à regarder Le refuge de l’espoir, les lundis à 18 h sur ICI Explora.

Pour en apprendre davantage sur la faune du Québec, vous pouvez visiter le site web du ministère de la Faune, des Forêts et des Parcs du Québec ici même.